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je ne crains pas de le dire, ont sauvé la marine française. Sans eux, le vœu de l’Angleterre se trouverait aujourd’hui accompli. Si jamais cette marine, soustraite par leur énergique prévoyance au plus grave péril qu’elle ait encore couru, peut contribuer à la gloire et à la sécurité de la France, la reconnaissance publique devra préserver de l’oubli les noms de MM. Portal, de Clermont-Tonnerre, Chabrol, Hyde de Neuville et d’Haussez.


II

Peu de temps après ma promotion au grade de contre-amiral, j’avais eu le malheur de perdre mon père. Je vivais à Brest fort retiré, n’entretenant de relations qu’avec ma famille et un petit nombre d’amis sur lesquels je pouvais compter. Bien que je fusse loin d’avoir à me plaindre moi-même, il me semblait que ceux qui avaient été moins heureux que moi, qui avaient vu leur carrière brusquement arrêtée, leur avenir détruit, n’en avaient que plus de droits à ma sympathie. Je compatissais à leurs peines sans m’effrayer des interprétations qu’on pourrait donner à mes démarches ou à mes paroles ; mais je n’aurais point voulu m’associer à des vœux qui, fort légitimes chez ceux que le nouveau régime avait persécutés, n’eussent été de ma part que déloyauté et ingratitude. Le temps cependant ne pouvait manquer de venir en aide à la politique. Le calme peu à peu rentrait dans les esprits et opérait insensiblement des rapprochemens que dans les premières années on eût crus impossibles. Le 10 décembre 1818, le roi Louis XVIII fit connaître aux chambres que les armées étrangères avaient complètement évacué le territoire français. Cette grande mesure, que le souverain appelait non sans raison la libération de la patrie, ne devait plus laisser dans tous les cœurs honnêtes que le désir d’effacer par l’union et la concorde jusqu’au dernier souvenir de nos humiliations et de nos malheurs.

Ce fut sous ces heureux auspices que M. le baron Portal entra au ministère. Sans me connaître, sans que j’eusse en aucune façon provoqué sa bienveillance, il me confia le commandement en chef des forces navales françaises dans la Méditerranée. Je me rendis aussitôt à Paris, et de là à Toulon, où j’arborai mon pavillon sur le vaisseau le Centaure. Le court séjour que je fis à Paris fut employé à recevoir du ministre de la marine et du ministre des affaires étrangères les instructions relatives à l’importante mission qui allait m’être confiée en qualité de commissaire du roi auprès des régences barbaresques. Le gouvernement britannique avait désigné de son côté, pour remplir les mêmes fonctions, le contre-amiral Freemantle, qui commandait les forces navales de l’Angleterre dans la Méditerrané