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D’accord avec M. Vacherot sur l’insuffisance du déisme vulgaire, je me sépare donc de lui sur la nature des procédés qui conviennent à la théodicée. L’horreur instinctive de tous les grands esprits pour les formules qui tendent à faire de Dieu quelque chose ne doit pas nous rejeter dans l’idéalisme abstrait. Dieu est le produit de la conscience, non de la science et de la métaphysique. Ce n’est pas la raison, c’est le sentiment qui détermine Dieu. Voilà pourquoi l’art, la poésie et la religion sont, en théodicée, supérieurs à la philosophie. Le poète, l’artiste et l’homme pieux, en acceptant franchement les symboles, sont en un sens plus conséquens que le philosophe ; celui-ci en effet a la prétention de se passer de tout langage figuré, et ne s’en passe pas en réalité, puisque les théories les plus abstraites sur la Divinité sont des symboles à leur manière. Toute phrase appliquée à un objet infini est un mythe ; elle renferme dans des termes limités et exclusifs ce qui est illimité. Il y a certes fort loin de la grossière imagination qui dégrade la Divinité à la formule philosophique, qui cherche à l’élever au-dessus des erreurs populaires ; mais au fond l’impuissance est la même. La tentative d’expliquer l’ineffable par des mots est aussi désespérée que celle de l’expliquer par des récits ou des images : la langue, condamnée à cette torture, proteste, hurle, détonne ; chaque phrase implique un hiatus immense. Toute proposition appliquée à Dieu est impertinente, une seule exceptée : Il est.

L’anthropomorphisme populaire est le grand écueil que la théodicée philosophique cherche à éviter, et elle a raison ; mais il est un anthropomorphisme dont il lui est impossible de se débarrasser, et qui est inhérent à sa tentative même : c’est l’anthropomorphisme psychologique. Toutes les expressions dont se sert la théodicée pour expliquer la nature et les attributs de Dieu impliquent une psychologie finie. On transporte à Dieu tout ce qui dans l’homme a le caractère de la perfection, liberté, intelligence, etc., sans remarquer que ces mots sont la négation même de l’infinité. Est-il besoin d’ajouter que les mots de nécessité, d’inconscience, etc., seraient encore bien plus absurdes ? La vérité est que ces mots sont tous relatifs à l’homme et n’ont pas de sens appliqués à Dieu. Fait-on Dieu personnel, Strauss intervient et dit avec raison : « La personnalité est un moi concentré en lui-même par opposition à un autre moi ; l’absolu au contraire est l’infini qui embrasse et contient tout, qui par conséquent n’exclut rien. Une personnalité absolue est donc un non-sens, une idée absurde. Dieu n’est pas une personne à côté et au-dessus d’autres personnes… La personnalité de Dieu ne doit pas être conçue comme individuelle, mais comme une personnalité totale, universelle, et au lieu de personnifier l’absolu, il faut apprendre à