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— Je suis tout heureux, disait le jeune homme à l’orpheline, vous m’avez reconnu sous mon sac de pénitent. Nos mères sont mortes la même année, et mon père Brunel était aux salines avec le vôtre. Je sais travailler et nous nous aimons. En attendant que nous puissions faire un bon ménage de garrigaires, nous pouvons former un joyeux couple de fringaires (amoureux).

Pitance, qui revenait son faix sous le bras, fronça d’abord le sourcil à l’idée de cette amourette, qui, en devenant sérieuse, menaçait de déranger bientôt l’harmonie de sa vie. Il essaya de la combattre en disant qu’il avait la responsabilité de la conduite et du bonheur de la Frigoulette, et qu’il la trouvait trop jeune pour songer au mariage ; mais les jeunes gens lui répondirent qu’à l’exemple de la plupart des paysans ils étaient disposés à rester de longues années simples fringaires. Les coutumes traditionnelles sont les véritables lois du village, et l’estarloga se vit forcé d’écouter, comme témoin officiel, le premier tutoiement que les fiancés s’empressèrent d’échanger devant lui.

Un mois après la procession de Pierre-Tintante, on aurait eu bien de la peine à reconnaître dans la Frigoulette l’insouciante enfant de Saint-Félix. Plus de courses folles à travers la colline, plus de jeux avec la vieille chèvre. Le lendemain de la procession, l’orpheline, en remplaçant la cagnote d’indienne de la fillette par le bonnet à dentelle de la jeune fille, avait commencé une vie nouvelle. Par un de ces contrastes fréquens dans les organisations méridionales, cette âme ardente, douée d’une raison précoce, pensa au devoir le jour où la passion entra dans son cœur ; l’idée du travail se mêla désormais à celle du plaisir, celle du mariage à celle de l’amour, et un soir, au retour de la danse, la Frigoulette annonça à son père adoptif qu’elle allait dès le lendemain prendre la trinca de sa pauvre mère et se joindre aux garrigaires, afin d’amasser sa petite dot. L’estarloga resta donc seul tout le jour, dans un assez triste tête-à-tête avec sa vieille chèvre. — Ne vaudrait-il pas mieux pour la Frigoulette, se disait Pitance, m’aider tranquillement à arrondir ce domaine, qui sera le sien ? Pourquoi donc va-t-elle se meurtrir les mains et se déchirer la jupe à écorcer le garrig de son fringaire ? — Mais lorsque le soir, son fagot sur la tête, la jeune fille revenait en redisant le refrain qu’avait chanté Brunel, le pauvre Pitance comprenait que, partagé par l’amour, tout travail est un bonheur.

Saint-Félix ne tarda pas non plus à changer d’aspect. De jeunes garrigaires, récentes amies de la Frigoulette, firent résonner les ruines sonores des frais éclats de leurs voix joyeuses ; des colporteurs y arrivèrent tour à tour pour essayer de tenter par leurs rubans et leurs dentelles la coquetterie de la nouvelle promise. La