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n’a-t-elle pas devancé la brochure ? Le pape n’eût point sans doute prononcé le discours du 1er janvier, la lettre n’aurait pas été publiée, et un regrettable éclat eût été prévenu. Nous ne comprenons pas au surplus l’intérêt que peut avoir un gouvernement à entamer une controverse sur le principe d’une souveraineté étrangère et sur la mesure de son domaine. La question purement italienne, la question de fait de la séparation des Romagnes, disparaît ici sous des intérêts et des droits bien plus vastes. On veut sans doute adresser au pape de bons conseils ; mais la publicité donnée à de tels conseils agit infailliblement contre les intentions apparentes qui les ont dictés. Toutes les souverainetés, quels que soient le régime politique qu’elles représentent et l’étendue de leur puissance, sont égales devant le droit public. Cette convention d’égalité est leur mutuelle garantie. C’est pour éviter le péril qu’il y aurait à engager dans des relations directes la dignité des souverains, déjà protégée par le secret des rapports diplomatiques, qu’une longue tradition européenne veut que les souverains traitent entre eux par des ministres. Ces intermédiaires sont faits exprès pour prévenir ou amortir les chocs que pourrait amener le contact trop direct des souverains, pour empêcher les souverains de se commettre dans des conflits qui deviendraient irréconciliables une fois leur dignité engagée. Ce sont là des précautions, nous le répétons, qui protègent tous les gouvernemens, les républiques comme les monarchies, les souverainetés démocratiques comme celles du droit divin. Ces précautions sont écartées par la publicité donnée aux lettres impériales. Il y a là un danger général que la courtoisie de la forme ne suffit pas à conjurer. On nous accordera en outre qu’il est fort rare, si cela s’est jamais vu, qu’un souverain cède aux conseils qui lui sont publiquement adressés par un autre souverain. La publicité en effet imprime à ces conseils, malgré tous les adoucissemens du style, un caractère impératif, et elle enlève en tout cas à celui qui les reçoit le mérite de l’initiative, l’attitude et la bonne grâce de l’indépendance. Pourquoi d’ailleurs discuter avec le pape sur l’étendue de son domaine temporel ? On sait bien que les papes prêtent serment à leur avènement de conserver intact le domaine de saint Pierre : ce serment, impuissant contre la force des faits, les oblige pourtant à la revendication permanente de ce qu’ils considèrent comme des droits, et l’on conviendra que, s’il est des princes pour lesquels un serment même politique doit être un lien sacré, ce sont les papes. Pourquoi s’engager dans une polémique qui met fatalement aux prises le droit légitimiste et le droit populaire, lutte sans issue entre gouvernemens, et qui n’a eu jusqu’à présent d’autre arbitre dans le monde que la force ? Il suffisait d’ailleurs de prévenir le pape que la France ne pouvait permettre que la force fût employée pour rétablir son pouvoir dans les Romagnes. Le pape n’eût eu rien à dire à une politique justifiée par les principes constitutifs de la France moderne. Était-il nécessaire d’aller plus loin, et de lui demander l’abdication d’un droit dont le maintien lui est imposé comme un devoir par son serment ? N’était-ce pas fournir prétexte à la méprise, affectée, nous le savons, de ceux qui à tort, nous le voulons bien, essaieraient de dire que, dans ce cas et en tenant compte de la différence des puissances, demander le sacrifice, c’est l’imposer ? Une telle discussion n’était-elle pas de nature à