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projet de loi a été présenté au corps législatif dans sa dernière session. Ce projet n’est pas encore converti en loi ; il reste par conséquent soumis à la discussion. Le corps législatif a heureusement sursis au vote en demandant un plus ample informé. Comme la loi de la convention, ce projet enveloppe dans une suspicion commune tous les étangs de la Dombes, et permet d’en ordonner la suppression, sans autre formalité qu’un décret rendu dans la forme des règlemens d’administration publique. Seulement, comme les idées économiques ont fait quelques progrès depuis 1793, au lieu d’exiger la destruction des étangs en deux mois, le projet accorde un délai de quinze ans, et il ne parle pas des ensemencemens en graine de maïs. De plus, il consacre une somme de 2,500,000 fr., prise sur le budget de l’état, pour être distribuée en prime aux propriétaires qui dessécheraient volontairement, et une autre somme de 2 millions pour leur être prêtée à 3 pour 100. Les intérêts menacés se sont défendus[1], et tout permet d’espérer aujourd’hui que la partie coercitive du projet sera abandonnée ; si l’on veut absolument de la coercition, la loi de 1792 est plus que suffisante. Quant à l’autre partie, l’affectation des 4 millions et demi en primes et prêts, elle a naturellement plus de succès auprès des propriétaires dombistes, mais on peut douter qu’elle en ait autant auprès de la généralité des contribuables. Cette somme, ajoutée à que ce que l’état dépense déjà en Dombes, dépasse ce qu’il est raisonnable de consacrer à cette destination. Il ne s’agit après tout que de 14,000 hectares ; la subvention serait donc de 320 fr. par hectare, dont plus de moitié en pur don, et sans compter les travaux extraordinaires. C’est trop. Rien n’est plus fécond en abus de toute sorte, plus contraire à une bonne direction du travail, plus nuisible au véritable esprit d’entreprise, que ce système arbitraire de primes distribuées Dieu sait comment.

Il faut rendre cette justice à M. Dubost qu’il n’a rien demandé de pareil. Quel que soit son désir de voir disparaître les étangs, il respecte trop le droit de propriété pour avoir recours à la contrainte, au moins sous une forme générale, et il a un sentiment trop éclairé de la justice distributive pour attendre des contribuables des sacrifices excessifs. La loi de 1792, combinée avec celle de 1856, lui suffit. « Cette loi, dit-il en propres termes, peut désormais poursuivre pacifiquement son œuvre et rendre peu à peu à ce pays la salubrité ; le dessèchement des étangs aura lieu, sans secousse trop brusque, tout le monde le désire, mais inévitablement. » Nous irions même un peu plus loin que lui. Il manque quelque chose à la loi de 1792 pour la rendre applicable : c’est la juste et préalable indemnité due aux propriétaires d’étangs reconnus insalubres dans les formes voulues par cette loi, et dont la destruction serait ordonnée. Un crédit annuel de 50,000 francs pendant dix ans suffirait probablement pour ces indemnités ; à raison de 250 fr. par hectare, il permettrait de dessécher 200 hectares d’étangs insalubres par an, ou 2,000 hectares en tout[2] ; le reste viendra de soi.

  1. Conseil-général de l’Ain, session de 1859 ; rapport fait au nom d’une commission chargée de donner son avis sur le projet de loi relatif à la suppression des étangs.
  2. Le conseil-général de l’Ain porte à 385 fr. la valeur moyenne des évolages, mais cette évaluation parait exagérée, en ce sens que la valeur de l’assec, qui ne représente aujourd’hui qu’une année sur trois, et qui y ajouterait désormais les deux autres, devrait s’accroître et faire en partie compensation ; c’est une question de licitation entre les intéressés. Nul ne peut prétendre à fixer d’avance l’indemnité due aux propriétaires des évolages supprimés ; cette indemnité devra varier suivant les cas, et ne pourra être justement appréciée pour chaque étang qu’après un débat contradictoire ; il ne s’agit ici que d’une évaluation générale et approximative.