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à leurs longues causeries; mais ce qui n’avait aucune importance aux yeux de Mme de Marçay en prenait chaque jour davantage aux yeux de mon malheureux ami. Il lui paraissait impossible que cette intimité croissante, que cet accord chaque jour plus étroit de leurs sentimens et de leurs pensées n’aboutît point à l’amour, ou du moins à cette langueur indulgente qui amène souvent une plus grande faiblesse. Il jouissait donc avec délices du moindre gage de la sympathie de Mme de Marçay, d’abord pour le plaisir immédiat dont il se sentait l’âme inondée, puis comme d’une promesse muette d’un avenir plus heureux. Quand il avait par hasard causé de longues heures avec elle en lui tenant la main, sans qu’elle songeât à la reprendre, quand il avait pu, sans qu’elle parût s’en offenser ou même le sentir, presser longtemps cette main si chère contre ses lèvres, il revenait enivré, plus troublé que je n’aurais voulu, mais si heureux que je n’avais plus le courage de l’attrister par des prédictions fâcheuses.

Il lui laissa voir enfin à elle-même l’espérance qui commençait à l’envahir. Il en vint peu à peu aux supplications les plus vives; il tomba, peut-être avec plus d’esprit qu’un autre, mais aussi fatalement qu’aucun autre, dans l’argumentation stérile et naïve de ces amans malheureux qui s’efforcent de prouver à celles qui les repoussent qu’elles ont le plus grand tort de ne pas les aimer, qu’il serait de leur intérêt et presque de leur devoir de le faire, et qu’elles trouveraient un bonheur assuré dans cet amour. Elle lui répondit avec fermeté, mais avec douceur et presque avec tendresse, qu’il lui était impossible de l’aimer, et que cela n’arriverait jamais. Elle semblait attristée de l’idée qu’elle pourrait perdre par ses refus un ami qui lui était déjà cher; mais elle paraissait résolue à le perdre plutôt que de l’entretenir dans une vaine espérance. Ferni persistait cependant avec une opiniâtre énergie dans ses raisonnemens et dans ses prières; elle s’émut de ses souffrances, et essaya d’y mettre un terme par un aveu dont je ne pouvais alors apprécier la sincérité, mais qui, vrai ou faux, devait coûter également à cette belle âme.

C’était au commencement du mois de janvier. Mme de Marçay attendait Ferni ce jour-là et voulait lui donner un petit calendrier en bois sculpté que vous avez pu voir sur mon bureau, car Ferni me l’a laissé, avec quelques autres objets, en partant pour Saint-Pétersbourg. Il entra avec l’agitation qui le dominait depuis quelques jours, prit les mains de Mme de Marçay avec tendresse, et commença presque aussitôt à lui parler de son amour et de ses peines. Elle l’interrompit doucement pour lui offrir son petit présent, qu’il accepta avec une joie enfantine, comme s’il oubliait un instant tout le reste; mais bientôt, montrant du doigt, avec un triste sourire, la