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mer Ferni. Il est bien rare qu’une intimité aussi étroite qu’était la leur, nouée à leur âge et poursuivie au milieu d’une liberté presque entière, n’aboutisse point à l’amour. Ferni n’avait rien en lui qui pût déplaire à Mme de Marçay, et elle n’éprouvait point évidemment pour lui une de ces répugnances insurmontables qui parfois séparent deux personnes faites d’ailleurs pour s’aimer. Puisque vous avez vu Ferni, vous vous souvenez sans doute qu’il plaisait généralement. Mme de Marçay acceptait sans trop s’en plaindre les bruits du monde, car son intimité avec Ferni avait tous les caractères d’un amour partagé, et si quelques fins observateurs doutaient encore du succès de Ferni, si lui-même évitait de son mieux tout ce qui pouvait y faire croire, les esprits superficiels, qui forment toujours la majorité, n’en doutaient pas.

Quant à ce qu’on appelle en amour l’union des âmes, elle était entre eux aussi complète qu’on peut l’imaginer, et lorsque nous serons à Paris, je pourrai vous en convaincre en vous faisant lire leurs lettres où s’épanchait toute leur âme. Quoique étranger, Ferni écrivait purement notre langue, et la passion qui l’inspirait l’emportait souvent jusqu’à l’éloquence. Vous ne trouverez aucune trace de mauvais goût ou d’affectation dans ses lettres, tout y est vrai, élevé, sincère ; seulement il faut faire la part de l’amour qui lui montre dans Mme de Marçay plus de perfections et plus de charmes encore que le ciel ne lui en avait fatalement accordé. Ce qui me surprit extrêmement quand j’eus entre les mains toutes ces lettres, c’est que les plus fortes et les plus éloquentes étaient précisément écrites dans le temps même où Ferni était incapable de tout travail. Il retrouvait pour se plaindre de ses maux, pour convaincre Mme de Marçay et pour l’attendrir, toute la vigueur de pensée et de langage qu’il semblait avoir perdue pour tout le reste. Il le sentait lui-même : « Je ne suis bon désormais qu’à vous écrire, dit-il un jour à la fin d’une de ses lettres. J’irais ainsi jusqu’à demain, et plus loin, et toujours. Voilà certainement mes moins mauvais écrits, mais ils ne me conduiront pas même à la gloire. » A coup sûr, on ne peut publier ces lettres, bien que la mémoire de Ferni ni de Mme de Marçay n’eût pas sans doute à en souffrir; mais nous pourrons les relire, et j’éprouve un amer plaisir à y voir revivre avec toutes ses douleurs l’âme ardente et déchirée de mon ami.

Que vous dirai-je des lettres de Mme de Marçay? Vous n’imaginerez pas, avant de les avoir lues, qu’on puisse être à la fois si inflexible et si tendre, donner et retenir, fuir et se rapprocher, consoler sans guérir, refuser toute espérance sans tuer tout amour, inspirer à la fois et d’une manière si délicate tant d’admiration, de tendresse, de crainte et de désir. Et dans tout cela pas un mot à effacer, pas