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plus avancé qu’auparavant, et qu’il ne le serait jamais davantage; mais alors, au lieu de s’emporter comme autrefois contre le sort ou contre elle, Ferni lui disait en souriant : — A qui en avez-vous? Qui vous a rien demandé? Qui vous dit que je supplie et que j’espère?

— Vos yeux me le disent, et je leur réponds sincèrement comme toujours.

Il avait en effet, malgré lui, de temps à autre une façon de regarder Mme de Marçay qui en disait plus que toutes les paroles, et à son tour elle laissait passer à son insu dans son regard la pitié dont elle avait l’âme atteinte. Elle mettait alors la main devant ses yeux, et lui disait en riant : — Voulez-vous bien ne pas me regarder ainsi?

Il prenait cette main, la baisait avec une sorte de fureur, et l’on parlait d’autre chose.

Ils avaient pris l’habitude de tout se dire, et il la consultait sur toute chose. Il avait repris le goût du travail, il s’intéressait de nouveau aux affaires de son pays. La vive intelligence et le noble cœur de Mme de Marçay suivaient Ferni dans toutes ses pensées. Ils se voyaient sans cesse au théâtre et dans le monde, et il leur suffisait d’être un jour sans se voir pour sentir aussitôt qu’ils avaient une infinité de choses à se dire. La moindre interruption dans leur intimité leur apprenait à tous deux combien ils s’étaient devenus nécessaires, combien l’affection, la confiance et l’habitude avaient étroitement entrelacé leur vie.

Ils vivaient donc dans une sorte de calme, et Ferni, qui prenait plus d’intérêt aux moindres actions de Mme de Marçay qu’à tout le reste de l’univers, suivait avec curiosité l’existence de cette jeune femme si admirée, si enviée, si courtisée et, au moins en apparence, si peu sensible à tant d’hommages. Elle avait la cour la plus nombreuse et la mieux fournie qu’on ait peut-être jamais vue autour d’une belle personne, et les âges les plus divers, comme les conditions les plus variées, y étaient représentés. Ferni plaisantait parfois Mme de Marçay sur un certain nombre d’hommes mûrs qui n’étaient pas les moins ardens de ses admirateurs. Il l’appelait « Suzanne entre les vingt vieillards. »

Mais ce qui confondait Ferni de surprise, ce fut la vue d’un certain tiroir rempli de lettres qu’elle remit en ordre de très bonne grâce devant lui, un jour qu’elle partait pour la campagne. Mme de Marçay en fit l’examen, et Ferni l’aidait en riant dans ce travail. Elle lui cachait certaines lettres, et il ne demandait à en voir aucune ; mais il en parcourut plusieurs et put se convaincre qu’il ne connaissait encore que très imparfaitement le nombre des adorateurs dont Mme de Marçay contenait et calmait les transports soit par son