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veaux dans un être durable qui les a précédés. C’est donc, je le répète, par analogie que de l’action des causes connues nous induisons la possibilité d’une cause créatrice, c’est-à-dire d’une cause qui produise. à la fois la substance et le phénomène. Si, comme il arrive quelquefois, souvent même, mêlant le sacré et le profane, on combinait l’enseignement juif avec la tradition hellénique, et l’on mettait le chaos d’Hésiode ou d’Ovide en arrière de la création, l’action de la cause divine serait un peu plus comparable à celle des causes que nous avons vues agir. Je dis comparable, car en toute hypothèse la cause divine ne peut être exactement assimilée à aucune des causes que discerne l’expérience. Elle serait créatrice encore, quand la matière serait éternelle. La naissance des êtres déterminés bien comprise implique déjà ce que nous entendons d’essentiel par création.

Mais n’oublions pas que nous parlons des enfans, et que ces problèmes les touchent peu. A peine quelque question jetée en passant par ce besoin de comprendre qui s’éveille et s’endort tour à tour dans leur intelligence est-elle venue embarrasser un moment la mère souriante, plus fière de ce que l’enfant lui demande qu’humiliée de ne pouvoir répondre. Ces curiosités s’allument et s’éteignent comme des lueurs passagères, et l’esprit reste sans trop d’effort dans ce brouillard qui remplit tous les abords de l’infini. Ce qu’il saisit mieux, ce qu’on craint moins de lui représenter, ce sont les preuves partout visibles de l’existence d’un suprême auteur des choses. On ne parle guère à un enfant des objets de l’histoire naturelle sans lui faire remarquer, quelquefois même un peu à la légère, des combinaisons de moyens et de buts qu’on aperçoit ou qu’on croit apercevoir dans l’ordre général des phénomènes. Après avoir enseigné le fait de la création, grâce à l’idée de la cause qu’Aristote nommait efficiente, on cherche à expliquer l’ensemble et l’harmonie des choses créées par la notion de la cause qu’Aristote nommait finale. On montre dans les merveilles de la nature le résultat d’un art souverain. On ne craint même pas d’insister outre mesure sur ce point de vue, et l’on remplit l’esprit du jeune disciple de suppositions spécieuses, subtiles, hasardées, qui passent à la faveur d’une idée fondamentalement vraie, l’ordre du monde.

Cependant cette idée ne peut être tenue pour un certain degré de connaissance théologique que lorsqu’elle a été développée en un raisonnement qui prouve ce qu’il suppose. Or, quelque parti qu’on ait pris de ne point faire de philosophie avec les enfans, on ne manque guère de leur communiquer de bonne heure l’argument métaphysique que notre pédanterie désigne sous le nom d’argument physico-théologique. A défaut de toute autre voie, en voici une par laquelle il parvenait nécessairement aux enfans élevés au commen-