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Rodolphe le devinait dans son regard. Zacharie les accompagnait dans leurs promenades : il pêchait des truites, et en attrapait quelques-unes dans les torrens, bien que la saison ne fût pas encore favorable. Tandis que l’enfant s’amusait, ils marchaient lentement, regardant la forêt, la montagne, le ciel, et parlant bas.

Il y avait déjà un certain temps que Rodolphe habitait la maison du garde, lorsque Salomé fut choisie par une femme du pays pour être marraine de son enfant. La jeune mère aurait bien voulu associer Rodolphe à ce choix en qualité de parrain ; mais la différence de religion s’y opposait. La cérémonie du baptême est une occasion de fête dans ces parties reculées du Schwartzwald. Il est d’usage de se réunir dans l’auberge du pays ; les hommes et les femmes revêtent leurs plus beaux habits ; l’enfant, paré de langes tout neufs et de couleurs vives, est couché sur un oreiller et dort sur un banc au milieu de ceux qui seront un jour ses guides et ses soutiens ; la marraine porte autour du front une couronne de fleurs naturelles, un bouquet orne le chapeau du parrain ; on s’asseoit autour des tables et on se réjouit. Dans ces contrées, où l’éclatant soleil du midi ne brille pas, la gravité est la compagne de tous les plaisirs, les convives restent sérieux ; on choque les verres, on échange un mot, un souhait, une espérance, puis on se tait. La rêverie qui est dans l’air s’empare de tous les esprits. Lorsqu’un nouveau-venu pousse la porte, chacun lui tend son verre ; l’arrivant y trempe les lèvres, rompt un morceau de pain et s’assoit. À son tour, il fait le même accueil à ceux qui le suivent. C’est comme le témoignage de l’hospitalité et l’affirmation d’une amitié cordiale, quelque chose comme une communion villageoise.

Rodolphe avait suivi Salomé dans la grande salle de l’auberge. Le parrain du petit enfant était auprès d’elle ; c’était un beau jeune homme, à l’air franc et résolu ; il ne la quittait pas. La couronne de fleurs des champs, glanées à grand’peine dans les bois et sur le plateau, que Salomé portait sur la tête, rehaussait la grâce pensive et le caractère poétique de son visage. Au milieu des compagnes de ses travaux journaliers, elle semblait appartenir à un autre monde. Un doux sourire entr’ouvrait ses lèvres quand elle offrait son verre à un voisin ; mais quel regard quand elle contemplait l’enfant dont elle allait répondre devant Dieu ! On voyait bien à l’accueil qu’on lui faisait qu’elle était aimée ; une sorte de respect empêchait seulement que les témoignages d’affection allassent jusqu’à la familiarité.

Vers midi, elle se leva et sortit accompagnée de Zacharie. La robe de laine blanche qu’elle portait tombait à longs plis sur ses pieds. Rodolphe la suivit. Un moment, le jeune homme qu’une parenté religieuse allait unir à Salomé s’arrêta sur le seuil de l’auberge,