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muable, infini, intelligent, etc. Enfin il démontre toute la série des attributs divins. C’est dans la nécessité, dans la conception de l’être nécessaire, qu’il voit le caractère d’une preuve véritablement a priori. La sienne lui paraît mériter ce titre, en ce qu’elle se fonde sur une conception immédiate et nécessaire, quoiqu’elle suppose la connaissance préalable de l’existence des choses, et que cette connaissance soit expérimentale.

Clarke ajoute bien à cette démonstration une autre idée beaucoup plus hardie, beaucoup plus hasardée, qu’il tenait probablement de Newton, et qui a provoqué son importante controverse avec Leibnitz; mais cette doctrine, qui identifiait en quelque sorte l’espace et le temps avec la Divinité, n’est pas inséparable de sa démonstration, qui seule nous occupe ici et qui ne passa pas sans objection. Il eut à répondre aux lettres polémiques d’un gentilhomme du Glocestershire, qui n’était pas autre que le célèbre Butler, à cette époque étudiant en théologie dans une académie dissidente de ce comté. Il y avait alors dans l’église anglicane un docteur Waterland, moins connu que Butler, mais encore cité comme un des meilleurs interprètes de la doctrine orthodoxe de la Trinité. Clarke professait avec ménagement l’arianisme mitigé de son maître Newton, et la question fondamentale de la divinité de Jésus-Christ était alors l’objet des débats des théologiens. Daniel Waterland, qui avait figuré avec honneur dans la discussion, eut même une conférence sur le vrai sens du dogme avec le docteur Clarke devant la reine Caroline, alors princesse de Galles, renommée pour son esprit, ses goûts de métaphysique, et correspondante de Leibnitz. Malgré sa foi vive et ombrageuse, le docteur avait traversé la dispute sans rompre absolument avec son adversaire, et il ne l’a jamais combattu qu’avec de justes égards. Leurs dissidences théologiques s’étendirent néanmoins jusqu’à la philosophie, et Waterland joignit comme appendice aux recherches de Law sur les idées de temps et d’espace une lettre ou dissertation sur l’argument a priori tendant à prouver l’existence d’une première cause.

Dans cet ouvrage, fort digne d’être lu, Waterland s’occupe d’abord de la nouveauté de l’argument, et après en avoir fait remonter la condamnation jusqu’à Clément d’Alexandrie, il soutient que saint Anselme lui-même ne l’eût pas approuvé sous sa forme nouvelle. C’est, selon lui, l’étude de la métaphysique d’Aristote dans les mauvaises traductions du moyen âge et dans les commentaires des Arabes qui a pu seule inspirer une prétention téméraire, réprouvée par les plus grands des scolastiques. En première ligne, le maître de saint Thomas, Albert le Grand, dit en propres termes : «La créature fait connaître Dieu a posteriori. » Roger Bacon, Richard de Middleton, Duns Scot (je ne cite que les autorités britanniques)