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véritables nuages dans les régions supérieures de l’atmosphère.

Une chose contribue encore à augmenter l’influence presque enivrante des nuits tropicales sur l’organisme : les parfums des jardins et de la forêt. Les fleurs de chaque espèce s’ouvrent l’une après l’autre et versent dans l’air la senteur spéciale qui les distingue. Quelques-unes de ces odeurs, entre autres celle du palmier corna, font une irruption soudaine et envahissent brusquement l’atmosphère; d’autres, plus discrètes, s’insinuent avec lenteur et s’emparent graduellement des sens, mais toutes se succèdent dans un ordre régulier et produisent ainsi une vraie gamme de parfums. A l’imitation de Linné, qui proposait de construire une horloge de fleurs où les heures seraient marquées par l’épanouissement des corolles, MM. Spix et Martius, les célèbres explorateurs du Brésil, voulaient faire une horloge tropicale où chaque division du temps eût été indiquée par une odeur différente, s’échappant d’une fleur entr’ouverte comme la fumée s’échappe de l’encensoir.


II.

Après m’être installé à Sainte-Marthe, il me restait à faire quelques excursions à travers la plaine et dans les montagnes qui l’enferment de leur gigantesque amphithéâtre. Ma première course fut pour le promontoire qui borde du côté du nord les salines et le port de Sainte-Marthe, et dont les falaises abruptes commandent si fièrement les flots. Grâce à une ravine étroite ouverte par les eaux de pluie dans les rochers d’ardoise, je pus gravir, non sans peine, jusqu’à l’arête vive du promontoire, où m’attendait un spectacle magnifique. A mes pieds, du côté de l’est, se déployait le port de Taganga, plus ouvert, mais beaucoup plus vaste que celui de Sainte-Marthe, et cependant bien rarement visité, si ce n’est par une goélette de contrebandiers ou une barque d’Indiens. Malgré mon désir de contempler plus longtemps les deux golfes si gracieusement arrondis de chaque côté de la chaîne étroite, la violence du vent me força bientôt à descendre un grand escalier de roches et à me tapir sur le sable dans une grotte défendue des vagues par des récifs en désordre. Le vent alizé se fait toujours sentir avec une très grande force à une certaine hauteur au-dessus du niveau de la mer; à la surface même des vagues, il est retardé par la friction de l’eau sur laquelle il glisse, tandis que plus haut il n’éprouve aucune résistance et souffle avec toute son énergie : toujours les voiles supérieures des navires sont plus fortement gonflées que les basses voiles. Au moyen de petites hélices fixées sur les mâts, on pourrait mesurer l’intensité du vent à diverses hauteurs et refaire pour les courans