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partie de la Péninsule. Le Portugal, à son tour, était devenu une colonie. En 1820, il avait deux métropoles, Londres et Rio-Janeiro. L’industrie nationale n’y existait pas même de nom. La beauté du climat, la richesse des productions agricoles ne faisaient que mieux ressortir la misère des habitans. Malgré sa profonde apathie, le peuple était mécontent; les troupes, mal payées et misérablement vêtues, se montraient animées du plus mauvais esprit. L’atmosphère était comme imprégnée de ces miasmes malsains qui précèdent les révolutions.

Nous ne nous arrêtâmes dans le Tage que quelques jours. Le 18 août, nous étions mouillés dans la rade de Rio-Janeiro. Le Brésil avait déjà pris rang parmi les grandes puissances commerciales. Ses exportations annuelles pour l’Europe s’élevaient en 1820 à 150 millions de francs; ses consommations d’objets européens ne dépassaient pas encore 60 millions, sur lesquels l’Angleterre comptait 40 millions pour sa part, la France 10, le Portugal et les autres nations réunies le même chiffre. Le principal objet d’importation ne venait pas d’Europe, mais de la côte d’Afrique. On sait que, par une clause spéciale, le Brésil avait obtenu le privilège de faire jusqu’en 1830 la traite au sud de l’équateur. Il se hâtait d’exploiter cette précieuse tolérance, et recevait chaque année des comptoirs portugais environ quatre-vingt mille nègres.

Pendant que l’Angleterre introduisait au Brésil des tissus de laine et de coton de tout genre, de la quincaillerie, et plusieurs autres articles de détail, la France y envoyait des farines, du beurre salé, des vins, des eaux-de-vie, des meubles, des soieries, et surtout des objets de mode. En vertu d’un traité conclu en 1810, les droits d’importation payés par les Anglais étaient de 15 pour 100 d’après les évaluations mêmes de leurs factures; ceux qu’il nous fallait subir se montaient à 24 pour 100, et n’avaient d’autre base que les appréciations arbitraires de la douane[1]. L’état de notre commerce au Brésil, particulièrement à Rio-Janeiro, était tel alors que, sans la passion que montraient les Brésiliens pour quelques-unes de nos marchandises, sans l’élégance inimitable d’un certain nombre de nos produits, toute transaction nous serait devenue impossible. Il n’y avait point de temps à perdre pour obtenir la réforme d’une situation si préjudiciable à nos intérêts; j’en signalai l’urgence, et indiquai comme un des moyens qui pourraient le mieux assurer le succès des négociations l’apparition plus fréquente de nos forces na-

  1. C’est ainsi que, pendant mon séjour à Rio-Janeiro, deux harpes d’une valeur identique, l’une française, l’autre anglaise, acquittèrent, la première 450 francs de droits, la seconde 9 francs.