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la dernière. Les précédentes avaient eu lieu sans effusion de sang, et la succession rapide de pareilles crises avait accrédité l’idée qu’on pouvait parvenir sans danger au pouvoir : encouragement certain pour les ambitieux et les fauteurs de troubles. Grâce à l’avènement de Martin Rodriguez, partisan, je l’ai dit, de Puyredon, notre partisan lui-même, la présence du pavillon français devant Buenos-Ayres était devenue inutile. Dans l’état de fermentation où se trouvait le pays, elle n’eût pu que compromettre le petit nombre de Français qui ne s’étaient pas encore réfugiés à Montevideo. Les indépendans, — tel était le nom qu’avaient pris les républicains de la Plata, — se montraient avant tout fort jaloux des Européens, dont la supériorité blessait leur orgueil; ils se fussent à l’instant réunis contre le pouvoir soupçonné de pactiser avec eux. Tant que l’ordre ne serait pas mieux affermi dans ces malheureuses provinces, la France n’avait rien à en attendre. L’instabilité du gouvernement rendait toute négociation souverainement dangereuse. Le chef qui eût accordé à notre commerce quelques conditions favorables n’aurait pu en garantir l’exécution : cet avantage illusoire fût devenu pour ceux qui en auraient été l’objet un tort impardonnable aux yeux de son successeur.

Pendant que la guerre civile exerçait ses dévastations sur la rive droite du fleuve, à Montevideo on jouissait d’une tranquillité relative. Seul, le général Artigas tenait encore la campagne avec une armée de pillards et d’assassins, qu’il continuait à recruter par la violence. C’était pour éloigner ce bandit redouté que le gouvernement de Buenos-Ayres, au temps du directeur Puyredon, s’était prêté à l’occupation de la province de Montevideo par les Portugais. Malgré la tranquillité que la présence de ces troupes étrangères procurait aux habitans, l’inimitié des deux races n’en subsistait pas moins. On ne pouvait douter que, si les indépendans de la Plata parvenaient jamais à s’entendre et à fonder un gouvernement plus stable et plus régulier, le premier usage qu’ils feraient de leur puissance serait d’expulser les Portugais d’un territoire où ils ne souffraient leur présence qu’à regret. Quant à l’Espagne, elle devait renoncer à toute domination à Buenos-Ayres comme à Montevideo. En déployant un peu plus de vigueur cependant, cette puissance, dans les premières années qui suivirent la paix de 1815, eût pu sauver encore ses possessions d’outre-mer. C’était avant tout sur les rives de la Plata qu’il importait de se maintenir. Il fallait commencer par rétablir l’ordre dans les provinces qui avaient les premières donné l’exemple de la sédition. Une armée de sept ou huit mille hommes y eût suffi quand le pays, déchiré par des querelles intestines, était incapable d’organiser la moindre résistance. Les habitans des villes