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pays par nos troupes assurera à la division qu’elle commande un mouillage paisible. »


Cette lettre demandait une réponse. Je la fis aussi nette que le permettait la situation ambiguë dans laquelle nos relations avec l’Espagne devaient nous maintenir. Je réitérai les assurances d’une stricte neutralité, et je rappelai que j’attendais en retour, pour les armateurs français, assistance et protection. Quant aux inquiétudes manifestées au sujet du prochain départ de la division pour les côtes du Pérou, je laissai entendre que je les considérais comme une injure gratuite faite à notre loyauté, et je m’abstins de les réfuter.

Notre politique n’était point à double face : elle était expectante. Quelques mots l’auraient exposée dans toute sa sincérité ; mais ces mots, nous ne pouvions pas les dire. Nous ne pouvions pas avouer que nous n’attendions qu’un succès plus complet pour nous déclarer. Quant à moi, je ne mettais pas un instant en doute l’issue de cette insurrection. La lutte que les Chiliens soutenaient depuis plusieurs années les avait aguerris. C’est d’ailleurs une race belliqueuse et tenace. Le Chili pouvait mettre sur pied douze mille hommes de troupes régulières et joindre à cette armée des milices plus nombreuses encore. Plusieurs officiers français servaient à cette époque dans l’armée chilienne. Les victoires de Maypu et de Chacabuco, si célèbres dans les annales du Chili, furent dues en partie à leur courage. Si j’en croyais les informations que je recueillis pendant mon rapide passage dans la Mer du Sud, toute cette partie de l’histoire américaine serait à refaire, mais je n’ai aucun goût pour les révisions historiques; ce ne sont la plupart du temps que de présomptueuses tentatives ou d’ingénieux paradoxes : il faut laisser la gloire a qui eut la responsabilité.

Le Chili est sans contredit le plus beau pays de l’Amérique méridionale. Situé sous la zone tempérée, il ne connaît ni la rigueur des hivers ni les chaleurs excessives de l’été. Le sol, partout fertilisé par un grand nombre de rivières, rend presque sans effort des récoltes abondantes. Chacune de ses provinces se distingue par des produits différens. La province de La Conception renferme d’immenses forêts; elle est riche en vins, en blé, en bestiaux et en laine. La province de Santiago, moins grande, mais proportionnellement plus peuplée, fournit, outre du blé, du chanvre et des fruits de toute espèce; elle possède aussi de nombreux troupeaux. La province de Coquimbo, qui occupe la partie septentrionale du Chili, est avant tout propre à la culture des denrées coloniales : on y récolte le coton et la canne à sucre. Mais les plus grandes richesses de cette terre privilégiée ne sont pas à la surface. L’objet du travail et des