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spéculations de toutes les classes d’habitans, ce sont les mines abondantes d’argent et de cuivre que renferme le territoire des trois provinces. De telles ressources devaient attirer le commerce européen. Le commerce, à son tour, devait, avec le goût du luxe et des aisances de la vie, faire pénétrer dans ces contrées naturellement indolentes les habitudes salutaires du travail. Dès l’année 1821, tous les objets provenant de nos manufactures jouissaient au Chili de la vogue exceptionnelle qu’ils avaient rencontrée au Brésil. Pour en soutenir la concurrence, les Anglais n’avaient pas trouvé d’autre moyen que d’employer la contrefaçon. On vit à cette époque leurs draps porter frauduleusement la marque de nos fabriques. L’engouement des Chiliens pour les produits de l’industrie française fut de courte durée; le Chili n’en est pas moins devenu un des meilleurs marchés de notre commerce d’outre-mer. Le chiffre total de nos échanges avec cette république, qui ne compte pas un million et demi d’habitans, s’élève aujourd’hui à près de 72 millions de francs. On comprend l’importance qu’il y avait à sauvegarder de bonne heure nos intérêts dans cet état naissant, et à ne pas nous y laisser supplanter par nos rivaux.

Des anciennes possessions espagnoles dans l’Amérique méridionale, il ne me restait plus à visiter que le Pérou. L’autorité royale se maintenait encore intacte dans cette province. L’armée chilienne, débarquée sur la côte méridionale, s’avançait, il est vrai, vers la capitale, mais avec une prudente lenteur. Le 18 janvier 1821, je partis de Valparaiso pour me rendre, ainsi que je l’avais annoncé, devant Lima. La veille de mon arrivée sur la rade du Callao, une révolution militaire avait fait passer le pouvoir aux mains du général Lacerna. On accordait généralement au nouveau vice-roi de grands talens militaires. Il avait la confiance des troupes, et c’était sur lui que se fondait le dernier espoir des partisans de l’Espagne. L’entrevue à laquelle il s’empressa de me convier me laissa une idée aussi favorable de sa capacité que de sa courtoisie. Je trouvai un homme d’une cinquantaine d’années, dont la figure ouverte et la contenance assurée me plurent à la première vue. Le général Lacerna parlait avec une très grande facilité le français ; il avait longtemps résidé à Nancy, où, pendant une partie de la guerre de la Péninsule, il fut retenu prisonnier sur parole.

Je pus juger dans cette entrevue que le vice-roi n’était pas sans inquiétude sur sa situation, quoiqu’il exagérât beaucoup ses forces et ses ressources. Il ne put me dissimuler que si l’Espagne tardait à lui envoyer des secours, la position deviendrait très critique. Il portait à neuf mille hommes la force de l’armée espagnole. Des renseignemens plus exacts me donnaient à penser que l’effectif réel en