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délégation tacite et naturelle d’un corps dont il est l’âme; cet helléniste délicat, chez qui la philologie la plus riche et la plus variée n’est qu’un art accessoire qui se perd et s’efface dans l’éclat de ses dons littéraires, M. Villemain, aiguillonné de temps en temps par l’impuissante maladresse d’un de ces apprentis traducteurs, se surprenait à dire : « S’il nous donnait au moins le simple mot à mot! «  Et alors s’échappait de ses lèvres une de ces phrases transparentes qui sans cesser d’être françaises laissent clairement entrevoir le calque d’une phrase antique, tant l’ordre et le mouvement des idées, le ton et le coloris des mots s’y conservent fidèlement. A mesure qu’avançait l’examen, ces explosions devenaient plus fréquentes. D’abord ce n’était qu’un vers, puis une strophe, puis une ode tout entière qui se trouvait ainsi spontanément traduite. On eût dit un de ces peintres qui devant la toile d’un élève commencent par corriger seulement en paroles, indiquant, expliquant ce qu’il eût fallu faire, puis qui peu à peu s’emparent du pinceau, saisissent la palette et finissent la leçon en disant : Regardez, tâchez de faire comme moi!

Au bout de quelques séances, tout Pindare n’était pas traduit, mais il était comme ébauché dans ses parties principales. Pas un fragment notable, pas un hymne célèbre sur lequel, en passant, notre vaillant jouteur n’eût entamé la lutte. Ses confrères, comme on pense, l’excitaient à l’envi, sachant bien qu’une fois à moitié du chemin, il irait jusqu’au bout. Peut-être même espéraient-ils déjà qu’après la traduction viendrait le commentaire. Et en effet que de choses à dire non-seulement sur Pindare, sur ses vers, sur son temps, sur ses rivaux de gloire, mais sur la poésie lyrique elle-même! A quelles conditions se produit-elle en ce monde? quelle en est l’essence et l’origine? Est-elle de tous les temps et de tous les climats? tous les états de société peuvent-ils lui donner naissance? N’est-il pas chez les peuples certain degré d’élévation morale et religieuse au-dessous duquel elle ne fleurit pas ? Quels furent ses triomphes, ses chutes, ses renaissances? Quelle est son histoire en un mot, et quel peut être son avenir? Autant de questions qui se pressent et s’enchaînent dès qu’on jette les yeux sur ces chants immortels.

C’est ainsi que sans l’avoir voulu, entraîné, subjugué par l’ascendant fortuit d’un sujet admirable, M. Villemain s’est dévoué à nous traduire Pindare, et comme préambule nous donne le tableau le plus vaste et le plus animé, la plus heureuse page de critique et d’histoire que sa plume ait jamais tracée.

Cette introduction seule est déjà sous nos yeux; la traduction suivra de près, mais à quelque intervalle. Il était bon de lui frayer la route, de préparer les esprits, d’éveiller l’attention et la curiosité