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vieil émule, comme lui religieux, mais non pas dorien. Ce n’est point, à coup sûr, par le jeu de la scène, par l’artifice du théâtre, qu’Eschyle nous ébranle : son art, à lui, est aussi du lyrisme, mais un lyrisme qui daigne parler des hommes, qui s’intéresse à leurs misères, et qui tout à la fois les touche et les exalte. Aussi, pour sentir Eschyle, pour en pénétrer les beautés, les mystères, il ne fallait que nous débarrasser de nos modernes préjugés, prendre une idée plus large, un sentiment plus vrai de l’antiquité grecque, tandis que pour Pindare peut-être faudrait-il quelque chose de plus. Il faudrait devenir presque doriens nous-mêmes, c’est-à-dire concevoir le rôle de l’homme en ce monde, la discipline humaine, comme on les comprenait à Thèbes et à Lacédémone.

Si du moins nous pouvions restituer à Pindare un élément de ses anciens triomphes, un auxiliaire inséparable dont aujourd’hui on oublie trop l’absence, qui lui rendit pourtant plus d’un service à Olympie, et qui, pour électriser les âmes, n’était pas de moindre puissance que l’émotion dramatique, la musique, compagne et soutien nécessaires de ces vers qu’aujourd’hui nous ne pouvons que lire ! Par malheur, il est plus que douteux que jamais on découvre, sous quelque ville en cendres, le secret de cet art perdu, de cet art pour nous incompréhensible, la musique des Grecs ! En attendant, qui oserait nous dire jusqu’à quel point cette mutilation n’a point atteint et affaibli la poésie elle-même ? S’il fallait en juger par l’étrange faiblesse où sont réduits chez nous les vers écrits pour la musique quand par hasard il leur arrive d’être lus et non pas chantés, nous n’estimerions pas à moins de cent pour cent la perte de Pindare dans ce désastre musical ; mais peut-être est-il juste de ne pas croire à une identité complète entre les grands lyriques de la Grèce et nos poètes d’opéras. La perte néanmoins doit être immense, incalculable. C’est un naufrage qui ne nous a laissé d’autre débris, d’autre consolation qu’une agréable métaphore. Nos poètes, en parlant, croient encore chanter, ils le disent du moins. La lyre ne sonne plus, mais son nom vit toujours.

À défaut du prestige de l’accompagnement musical, M. Villemain donne à son grand poète un autre auxiliaire, l’éblouissant secours de sa critique. Comme traducteur, il nous le montrera tel que le temps nous l’a légué, tel que les manuscrits nous le livrent, dans sa seule parole écrite ; comme critique, il lui rend autre chose, la vie, l’accent pour ainsi dire ; il ranime, il ressuscite sa puissance : c’est un équivalent de la musique. Et ne parlons pas de Pindare seulement : dans ce vaste tableau, dans cette histoire de la poésie lyrique, Pindare est bien la figure dominante, mais combien d’autres à qui l’âme et la parole sont également rendues ! Nous avons cité deux chapitres.