Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/754

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

scrupules et de légitimes susceptibilités. Nous voudrions échapper à cette alternative ; le pourrons-nous ? Ce doute est pour nous un souci sincère et profond.

Nous y réussirions même, nous le savons, que nous ne devrions guère attendre du succès qu’une satisfaction de conscience. Le tempérament français comprend peu ceux qui ne sacrifient pas la forme au fond. La forme ! qui l’a jamais défendue chez nous, si ce n’est Brid’oison ? et la belle chance devant un parterre français que de se déclarer du parti de Brid’oison ! D’ailleurs jamais les circonstances ne furent plus défavorables aux esprits conséquens et impartiaux. La société, dans ses bases profondes, repose sur des antinomies de principes dont tout l’art de la politique consiste à prévenir les chocs, et qui ne se concilient que dans les ténèbres du mystère. Quand la maladresse et la violence, complices l’une de l’autre, finissent par déchausser ces obscures fondations, on voit éclater des luttes terribles qui échappent à l’empire de la raison et de la liberté humaine, cataclysmes politiques qui ne sont plus gouvernés que par des lois fatales semblables à celles qui régissent dans le monde matériel les forces de la nature. Il se fait en ce moment autour de la papauté une commotion de ce genre, et nous avons grand’peur qu’il ne soit plus au pouvoir de la raison et de la liberté humaine d’en prévenir les conséquences. Quand les choses sont engagées à ce point, aucun des deux partis ne vous pardonne plus de ne lui donner raison qu’à moitié. Aussi n’avons-nous pas la prétention de trouver grâce auprès des violens d’aucun parti. Réduits au rôle de spectateurs et dépouillés de toute influence sur l’action, nous n’avons d’autre ambition que de maintenir dans nos jugemens sur les événemens qui se déroulent l’identité et l’intégrité de nos principes. Partisans de l’émancipation des peuples qui souffrent de l’oppression intérieure ou étrangère, nous faisons des vœux pour que le triomphe de la’cause italienne ne soit pas compromis par la diversion d’une question plus vaste, la crise de la papauté. Partisans du progrès économique, convaincus que l’abolition des prohibitions et des protections exagérées doit donner un emploi plus fructueux aux capitaux du pays et tourner au profit matériel et moral des classes laborieuses, nous faisons des vœux pour que la grande expérience annoncée par le programme impérial réussisse, bien qu’elle devance, au lieu de le suivre, le cours de l’opinion, et qu’elle n’ait point été préparée et assurée par la libre éducation économique de nos producteurs et du peuple. Mais à l’heure où des causes qui nous sont chères semblent triompher par la vertu d’une soudaine et omnipotente initiative, nous ne voulons pas oublier que la liberté politique contient toutes les autres libertés, et qu’elle est la seule sanction et l’unique garantie de tous les progrès et de toutes les émancipations. Les faits n’ont pas seulement une logique inexorable, ils apportent dans leurs vicissitudes des rétributions infaillibles et des leçons lumineuses. Parmi les intérêts qui se plaignent aujourd’hui, il en est qui ont longtemps et insolemment renié et bafoué la liberté. Leurs organes ordinaires trouvaient un cruel plaisir à triompher par les moyens qui aujourd’hui les précipitent. Après un tel exemple et un tel enseignement, nous serions impardonnables, et nous appellerions justement sur la cause italienne et sur la réforme économique la même Némésis, si nous venions à oublier que ce n’est point par la liberté