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binaison bâtarde, ne respecterait ni le vœu populaire ni le droit légitimiste ; l’œuvre prompte, ajoutons-nous, car pourquoi attendre encore ? Lorsque le congrès était en perspective, on pouvait bien recommander la patience aux populations de l’Italie centrale, et exiger d’elles, au nom du haut arbitrage européen, des miracles d’ordre et de modération. Ajourner encore, même après que le fantôme du congrès s’est évanoui, ce serait mettre gratuitement en péril l’ordre et la paix. Les incidens récens qui ont effacé la politique de Villafranca ont communiqué aux espérances italiennes une impatience qu’il faut satisfaire. Le ministère de M. de Cavour accomplira donc l’annexion. Pour mieux dire, l’annexion se fera d’elle-même et toute seule, lorsque les députés de l’Italie centrale se présenteront à la barre de la chambre piémontaise, et lorsque cette chambre, trouvant leurs pouvoirs en bonne et due forme, admettra ces députés dans son sein. Que l’on ait recours, au pis aller, à un nouvel appel au vœu populaire dans les duchés, la seconde votation confirmera la première, et pour ce qui concerne les résolutions des populations de la Haute-Italie sur leur propre destinée, tout sera dit.

Tout sera dit du côté des Italiens, oui ; mais entre les Italiens et les intérêts que touche ou blesse leur constitution en un fort état, il restera de graves questions à régler. Quelle attitude prendra l’Autriche devant des arrangemens qui déjouent ses espérances de Villafranca ? Que deviendra cette idée de l’annexion de la Savoie à la France, qui, à peine ébruitée, excite des émotions si diverses ? Enfin l’indépendance italienne échappera-t-elle aux conséquences de l’ébranlement de la puissance temporelle du pape ?

Le moins que l’on doive attendre de l’Autriche, c’est assurément une protestation. Quelques-uns prétendent qu’il y aurait même à redouter de sa part des résolutions plus téméraires, et croient savoir qu’un acte formel d’annexion amènerait immédiatement, ou une attaque contre le territoire sarde, ou l’invasion de l’Italie centrale. Certes l’Autriche devrait avoir en ce moment d’autres pensées. Frappée dans sa puissance et dans son orgueil militaire, ruinée dans ses finances, intérieurement ébranlée par la démoralisation et le mécontentement des diverses parties de son empire, son salut n’est point dans un nouveau coup de tête belliqueux. Au sein de l’empire autrichien, en Allemagne, en Europe, partout l’on sent et l’on dit que la régénération de l’Autriche est à un autre prix : ses amis et ses ennemis savent qu’elle ne peut se retremper que par l’abdication du despotisme qui l’a perdue, et dans la liberté rendue à ses peuples. Ce serait un magnifique coup de théâtre qui transfigurerait l’Autriche, et changerait bien des situations en Europe, que l’inauguration d’un gouvernement constitutionnel libéral et populaire dans l’empire du Danube. Si la maison de Habsbourg a conservé une vraie fierté, si elle tient encore à être comptée dans le monde, il faudra bien qu’elle appelle à son aide le beau désespoir de la liberté. Dans tous les cas, en faisant l’annexion, il faut que le Piémont se prépare à défendre un tel acte contre une menace d’agression autrichienne. La Lombardie est couverte par le corps d’armée français qui y tient garnison. Il n’est pas probable que l’Autriche s’aventure de ce côté. C’est sur le Pô inférieur et dans les Romagnes que l’Autriche malavisée pourrait tenter