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du cabinet anglais étaient connues de notre gouvernement. En Angleterre comme en France, l’on a facilement deviné que ces vues n’étaient pas favorables à l’annexion de la Savoie. Nous croyons connaître la pensée du cabinet britannique à cet égard. Dans le cas où il paraîtrait notoire que la Savoie unie au Piémont agrandi en Italie serait un danger pour la France, l’Angleterre, si nous ne nous trompons, estime qu’on aurait suffisamment paré à ce danger en faisant de la Savoie deux ou trois cantons suisses et en la neutralisant. Il va sans dire que, même dans une telle hypothèse, rien ne devrait être décidé que conformément au vœu des populations savoisiennes. Les objections du Piémont, examinées de bonne foi, méritent d’être prises en sérieuse considération. La Savoie est le berceau de la dynastie sarde, et tout le monde comprendra combien il en coûterait au cœur du roi Victor-Emmanuel de se séparer du brave pays dont les destinées ont été associées pendant huit siècles à la fortune et à la gloire de sa race. L’agrandissement du Piémont du côté de l’Italie centrale serait un affaiblissement pour lui au point de vue militaire, s’il fallait le payer du sacrifice de la Savoie. Sans la forte position de la Savoie, qui lui assure pour dernière ligne de défense les Alpes cotiennes, le Piémont ne pourrait tenir tête à l’Autriche, encore moins résister à la France, si nous devenions ses ennemis. Tant que l’Autriche demeure en possession d’une partie de la vallée du Pô, le Piémont regarde comme nécessaire à sa sûreté la possession d’une partie de la vallée du Rhône. Sans cela, il ne saurait plus où placer sa capitale. Il ne pourrait la transporter à Milan, ville découverte, à trois jours de marche des Autrichiens, cantonnés à Mantoue et à Vérone ; il ne pourrait la maintenir à Turin, car le fort de l’Esseillon, qui est en Savoie, n’est qu’à quelques heures de distance. La question, au point de vue militaire, ne pourrait changer pour le Piémont que le jour où les Autrichiens auraient abandonné la Vénétie. Ce jour-là, le principe de nationalité aurait reçu en Italie une application complète, et le Piémont ne pourrait résister de bonne grâce à la revendication de ce principe de l’autre côté des Alpes. Enfin la décision suprême de la question doit, dans tous les cas, être laissée aux populations savoisiennes elles-mêmes. La France ne pourrait pas invoquer le principe des nationalités pour s’agrandir aux dépens d’un peuple qui voudrait conserver sa personnalité, son autonomie, et qui se souviendrait obstinément que, bien que réduit aux proportions d’une province, il a su se conquérir dans l’histoire la place d’une nation et d’un état. Or, il faut le reconnaître, la Savoie ne paraît pas prête pour le moment à s’offrir en don à la France. Il n’y a eu en Savoie, malgré les assertions de la presse française de second ordre, qu’une intrigue séparatiste, jamais un parti de l’annexion. Par dépit contre la guerre de l’indépendance italienne, par rancune contre les institutions constitutionnelles, une portion du parti clérical, fauteur des intérêts autrichiens en Italie, avait imaginé, sans beaucoup y croire lui-même, un mouvement annexioniste. La pétition séparatiste, que l’on a faussement représentée en France comme l’expression d’un vœu populaire, n’avait pas réuni dix noms connus en Savoie. C’étaient là d’étranges amis pour venir au-devant de la France. Il n’est même pas sûr, depuis nos démêlés avec Rome, que ces amis de la papauté nous soient demeurés fidèles ; mais ce qui est certain, c’est que les imprudentes exhortations annexionistes de notre presse