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en soi un souffle de vie et d’espérance! Qu’il soit le bienvenu, celui qui viendra nous conter quelque chose de nouveau ! soit qu’il chante la chanson de son village sur des pipeaux rustiques, soit qu’il ait une plus vaste ambition, nous l’écouterons et nous nous laisserons charmer; mais, nocher fidèle, nous repousserons de notre barque le téméraire qui voudrait passer à l’île des bienheureux sans payer l’obole. Montrez-nous la palme des élus, et il vous sera beaucoup pardonné par la critique, qui a souci de sa mission et qui sait distinguer la vie des fausses couleurs que revêt la mort.

Le Théâtre-Italien, c’est une justice à lui rendre, fait beaucoup d’efforts pour varier son répertoire et pour renouveler son personnel. Les chanteurs de toute nation paraissent et disparaissent à ce bienheureux théâtre sans qu’on se rende bien compte de la pensée de la direction qui opère tous ces changemens. Peut-être la direction se trompe-t-elle en pensant que ce perpétuel mouvement de va-et-vient parmi les artistes qu’elle engage précipitamment pour quelques représentations puisse séduire le public et fixer son goût. Une troupe bien organisée au commencement de la saison, bien dirigée surtout par un maestro capable, qui aurait l’autorité nécessaire pour le choix des ouvrages et la distribution des rôles, vaudrait mieux pour les intérêts de la direction que ces oiseaux de passage appartenant à des climats différens qui viennent se percher au Théâtre-Italien pour un nombre plus ou moins considérable de représentations. D’ailleurs il faut prendre garde de ne point abuser du droit qu’on vous laisse de faire entendre, au théâtre de Cimarosa et de Rossini, des virtuoses qui ne sont pas nés et qui n’ont pas été élevés dans le pays ove il bel si risuona. Sans être trop exigeant, n’est- il pas permis de dire qu’un théâtre qui ne donnerait que des opéras comme la Marta de M. de Flottow, dont je ne veux pas dire de mal, chantés par des artistes habiles qui seraient nés aux bords de la Seine, ne serait plus un théâtre italien, c’est-à-dire une forme de l’art représentant une manière particulière de sentir, un côté original de la fantaisie humaine? Il y a des voix italiennes, un accent italien, de la musique italienne, quelque faible qu’on la suppose, qu’on ne saurait imiter, et qui porte l’empreinte du sol et du climat de celui qui l’a créée. Vous me donneriez au Théâtre-Italien les plus grands chefs-d’œuvre de Beethoven, Weber, Mendelssohn, que je serais frustré dans mon attente, et n’aurais pas le genre de plaisir que j’y vais chercher. On ne confondra jamais la voix chaude, vibrante et sympathique d’un chanteur médiocre comme M. Graziani avec l’organe le plus riche d’un artiste français de premier ordre, et il est heureux après tout qu’il en soit ainsi, et que la nature des choses ne puisse être altérée par l’art.

Ce qui sent bien son fruit et témoigne de l’arbre qui l’a produit, c’est l’opéra en trois actes Margherita la Mendicante, dont la première représentation a eu lieu au Théâtre-Italien le 2 janvier. L’œuvre a été faite expressément pour le public parisien par deux artistes italiens, qui sont bien de leur temps et de leur pays. M. Piave, auteur du libretto du Trovatore et de beaucoup d’autres sujets traités par M. Verdi, a eu la mauvaise inspiration d’arranger pour un jeune compositeur peu connu un vieux mélodrame de MM. Anicet Bourgeois et Michel Masson, joué au théâtre de la Gaieté en 1852 sous le titre la Mendiante. C’est l’histoire lugubre d’une femme qui quitte son mari, Rodolphe Berghem, riche armurier de l’Allemagne, pour