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partenait a retracé cette rapide existence se résumant dans une mort héroïque. J’ai voulu le nommer à mon tour, puisque je me suis trouvé sur son passage, et que son âme m’est pour ainsi dire apparue à la lueur même du coup qui l’a frappé.

On ne devrait pas s’étonner quand un homme obscur, racontant la guerre comme il l’a faite, oublierait des trépas illustres pour accorder une place importante à la disparition d’un compagnon. Je ne veux pourtant point passer sous silence la mort de lord Raglan, dont les funérailles furent une admirable solennité. J’accompagnai le général Canrobert à ce convoi, qui devait ses magnificences guerrières au concours de quatre armées. On prétend que lord Raglan fut atteint le 18 juin non point par un boulet, mais par l’invincible épée dont le ciel arme certaines tristesses. Quoiqu’il n’appartînt pas aux générations qu’il voyait tomber autour de lui, il semblait destiné à rester longtemps encore sur cette terre. Une sève vigoureuse animait le vieil arbre que la mort avait émondé à Waterloo. Un jour, après une courte agonie, lord Raglan s’éteignit entre les bras de ses aides-de-camp. C’était un homme aimable et bon, paré de glorieux souvenirs pour sa patrie. À la nouvelle inattendue qu’il avait cessé d’exister, ce fut donc chez ses compatriotes une légitime affliction. On résolut d’envoyer ses dépouilles en Angleterre ; mais pour gagner le navire qui devait l’emporter, son corps avait une longue route à parcourir. Il fut décidé que sur cette route on déploierait toutes les pompes dont les armes peuvent entourer un cercueil. Je me rendis avec le général Canrobert à cette petite maison où j’étais venu si souvent, à une autre époque, passer de longues heures, devisant, pendant les conférences prolongées des généraux en chef, chez un officier qui devait, lui aussi, sortir dans une bière de cet humble asile. À cette maison commençait la double haie de soldats qui bordaient jusqu’à Kamiesch le chemin où le mort devait passer.

Les premiers soldats disposés sur cette voie funéraire étaient les highlanders ; appuyés sur leurs fusils renversés, ces hommes, grands, vigoureux, bien taillés, faisaient songer, par leurs attitudes et par leurs formes, aux bas-reliefs antiques. Ils évoquaient la pensée d’une douleur imposante et calme, de la douleur qui sied au cœur d’une puissante nation. On se sentait ému par ces figures, non point à coup sûr de la tristesse poignante qui parfois se met à sangloter soudain, dans un coin obscur de votre âme, au convoi d’un être ignoré, mais de cette tristesse des deuils publics, auguste et solennelle comme le temple où tout un peuple accompagne les restes d’un grand homme. Ce qui achevait de donner à cette cérémonie un caractère en même temps lugubre et triomphal, c’était la nature, la forme et l’appareil du char mortuaire. On avait posé le cercueil qui renfermait l’ancien général en chef de l’armée anglaise sur une pièce