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térêts hostiles, pour qui les minutes valent des heures, dont le parler est bref, le front sévère, l’abord presque terrifiant. Tristan est venu à lui déjà ulcéré par mille espoirs déçus, mille promesses hypocrites, mille insolens refus. Entre le riche qu’on obsède et le pauvre qui s’humilie en frémissant, l’harmonie ne s’établit pas d’elle-même. Le mépris chez le premier, chez le second la haine envieuse existent à l’état latent avant le premier mot échangé. Il suffit du moindre heurt pour que de ces deux âmes diversement électrisées jaillissent l’éclair et la foudre, et c’est ce qui est arrivé ce jour-là; mais depuis le temps a marché. Cet homme d’argent si préoccupé, si soucieux, si raide à ses heures de travail et devant son bureau, le voilà auprès de sa femme qui l’entoure de mille soins, calmé, humanisé par la présence de ses enfans qui jouent autour de lui, sous la bénigne influence du foyer qui rayonne et de la lampe qui jette ses plus douces clartés. Le banquier s’efface, le père de famille a reparu. Le nom de Tristan, comme par hasard, est tombé des lèvres de sa femme, ingénieusement protectrice. « Pauvre diable! ne pourrait-on rien pour lui? » La première réponse se devine assez : « un impertinent,... un sot,... esprit mal fait, susceptibilité ridicule!...» Mais la femme insiste, adroitement, légèrement, tournant l’obstacle sans le heurter, et déjà l’impitoyable Crésus reprend sa vraie nature, plus serviable et meilleure qu’on ne veut la croire. « Après tout, dit le banquier, j’aurais voulu lui être utile,... ne fût-ce que par égard pour la mémoire de son père,... un bien digne homme, et que j’appréciais à sa valeur... — Vous trouverez bien quelque chose pour son fils? — Eh! sans doute... J’y songe déjà depuis quelques jours... Je crois que j’ai son affaire... Nous verrons cela dès demain... Pauvre Tristan! »

L’âme, étonnée et confuse, n’en veut pas entendre davantage. Elle reprend son vol, et la voici qui, sur sa route, retrouve la triste mendiante dont l’enfant a reçu le dernier morceau de pain de Tristan. Cette femme est tombée de lassitude au coin d’une porte où vient la relancer un watchman d’apparence rébarbative. En somme, et après s’être fait rendre compte de sa pénible situation, le watchman s’émeut, lui aussi, comme le banquier de tout à l’heure, et partage son frugal souper avec la pauvre mère affamée. « Eh bien! dit celle-ci, le monde est meilleur qu’on ne le fait... Mange, mon petit Johnny, mange et prends patience!... Demain ne sera pas long à venir. »

Ces derniers mots renferment une leçon sévère pour l’âme qui n’a pas voulu attendre ce même lendemain, et qui commence à s’en repentir. Elle s’en repentira mieux encore quand elle verra le frère de Tristan, poursuivi dans ses rêves par le regret des différends sur-