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sument en revanche, sous presque tous ses aspects, le caractère écossais. A part quelques exagérations, la figure de Rachel Armstrong est traitée d’une façon remarquable, et les élémens divers de sa nature passionnée sont tour à tour mis en jeu avec un tact, une logique qui méritent d’être signalés. Sa loyauté, sa confiance dévouée, indignement trahies, ont allumé chez cette enfant des montagnes une âpre soif de vengeance. La haine toujours ravivée qui fermente en elle y stimule le développement des instincts poétiques. L’actrice sublime jaillit pour ainsi dire de l’amante abusée. Elle trompe et satisfait à la fois, par l’essor qu’elle leur donne sur la scène, ces fureurs qui ont ébranlé sa raison, et qui, dans des circonstances données, la conduiraient au crime. Calmée, rassérénée par là, mais toujours implacable, elle est en même temps, sans qu’on s’étonne de tels contrastes, amie reconnaissante et dévouée pour ceux qui lui ont tendu la main dans sa chute, altière, impassible, dure comme le marbre, dans ses rapports avec le commun des hommes, et enfin, envers l’ingrat qu’elle ne peut arracher de son cœur, malgré lui fidèle, une vraie Némésis, inexorable et frémissante. Ce type, à lui seul, ferait la fortune d’un drame.


II.

Le dernier ouvrage de miss Mulock, A Life for a Life, en progrès marqué sur ceux qui l’ont précédé, atteste qu’elle est encore loin d’avoir dit son dernier mot. Elle semble avoir compris que le roman ne peut que par exception, et au risque de graves inconvéniens, reproduire une vie tout entière, prise au berceau, menée à la tombe. Ces inconvéniens, — nous les avons fait ressortir, nous n’y reviendrons pas, — l’auteur de John Halifax les a heureusement éludés, en resserrant l’action de son dernier récit dans des limites de temps relativement étroites, puisqu’elle commence quelques mois à peine après le retour des troupes anglaises envoyées en Crimée.

A l’état-major d’un de ces régimens décimés que la prise de Sébastopol a renvoyés dans leurs foyers est attaché, en qualité de chirurgien-major, le docteur Urquhart, un homme remarquable à bien des égards, et par la rigidité de ses mœurs, et par une abnégation poussée au-delà des limites du devoir, et aussi par un fonds de tristesse que ne dissipent jamais ni les sanglantes distractions de la guerre, ni la gaieté des fêtes où le docteur est entraîné parfois malgré lui, ni même la jouissance si légitime et si vive que devraient lui procurer le bien qu’il fait, l’estime dont il est entouré, la reconnaissance qu’il inspire. Pour que tant de sombre amertume soit au fond d’une existence si pure, si régulière, si utile, quelle flèche venimeuse le docteur traîne-t-il donc après lui?