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Russie occupait la partie de l’Ukraine voisine du Don; elle avait élevé dans cette région des lignes de défense dont on aperçoit encore les restes sur la rive gauche du Donetz, affluent de ce dernier fleuve. Les Tartares s’étaient fortifiés du côté de la mer d’Azof, et les steppes immenses qui les séparaient des nations moscovites restaient inoccupés. Les hetmans étaient parvenus à discipliner peu à peu les habitudes militaires des Cosaques de l’Ukraine, et les terres situées en dedans des retranchemens étaient cultivées. Dès l’année 1700, Pierre le Grand, pour récompenser la conduite paisible de ces populations, leur accorda certains privilèges : il leur permit d’exercer leur industrie dans les villes, d’établir des moulins, des pêcheries, des auberges et des distilleries de grains avec exemption complète d’impôts. Cependant, quelques années plus tard, l’hetman se déclara pour Charles XII, et après la bataille de Pultava Pierre le Grand prit des précautions contre ces dangereux guerriers. Il envoya dans la partie orientale de l’Ukraine des régimens réguliers et de nouveaux colons, que les troupes durent protéger. Or ces colons étaient des serfs appartenant à des seigneurs du nord de la Russie, et c’est ainsi que la servitude s’introduisit dans l’Ukraine, province libre et pour ainsi dire neutre jusqu’alors. Néanmoins les Cosaques de l’ouest conservèrent pendant quelque temps leur organisation ancienne et leur indépendance; mais quand Catherine II se fut emparée de la partie de l’Ukraine située à la droite du Dnieper, les Cosaques durent payer la capitation, et leurs privilèges furent réduits. Enfin, après l’expulsion des Tartares de la Crimée et la défaite des Turcs, la tsarine pensa que les Cosaques de l’Ukraine étaient plutôt un danger qu’un secours pour la Russie, et elle profita de quelques troubles survenus parmi eux pour les transporter sur les bords de la Mer-Noire, où leur présence pouvait avoir son utilité. Là, les Cosaques continuèrent de jouir d’une partie de leurs franchises; mais on leur enleva l’élection de leur hetman. En 1780, l’Ukraine, dans la partie située entre le Dnieper et le Don, devint le gouvernement de Kharkov, et de paisibles agriculteurs, rendus serfs par le seul fait de la conquête russe, furent établis sur les terres abandonnées.

À ces souvenirs du passé viennent en outre se mêler pour l’étranger qui visite la Russie les impressions très variées, quelquefois assez pénibles, de la vie présente. Quand on arrive par la frontière du royaume de Pologne, après avoir traversé le Bug sur un bac, on s’aperçoit qu’on entre dans un grand empire. A la largeur des routes, trois fois égale à celle des plus grandes voies postales de notre pays, on pressent que la terre n’a qu’une médiocre valeur, et que l’espace n’est guère ménagé. Il n’y a pas de chaussées dans cette région, du moins jusqu’à Jitomir, capitale de la Volhynie; à chaque poste, un