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la physionomie des paysans, car c’est le seul lieu de réunion où les gestes et les allures soient libres; on y oublie les maux de toute la semaine. Malheureusement aussi on y perd la raison dans des libations réitérées. Je ne crois pas que les Russes aient une plus grande passion que celle du karchema, et c’est là que se dépense tout l’argent qui entre dans le village. L’interdiction de ce délicieux rendez-vous du dimanche passe pour la plus pénible des punitions.

Les villes de la Russie méridionale sont peu attrayantes. Les chefs-lieux de gouvernement ou les villes de districts possèdent des églises nombreuses, aux coupoles vertes ou dorées, des palais qui ressemblent à des casernes. Les rues sont assez larges, mais il est à peu près impossible de les parcourir à pied pendant une moitié de l’année à cause de la boue et des inégalités du pavage. Kiev, qui est l’ancienne capitale de la Petite-Russie, a pourtant d’assez beaux quartiers, de récente construction, garnis de trottoirs fort bien alignés, beaucoup de maisons neuves à plusieurs étages, des jardins publics, et même des boulevards. Cette ville est placée sur une éminence qui domine la large vallée du Dnieper. On y admire un pont suspendu sur une longueur de plus de 1,000 mètres, dont les piles élégantes sont entièrement montées en briques de Kiev, d’une qualité et d’une résistance sans pareilles. Ce magnifique ouvrage a coûté environ 20 millions de francs. Malgré une population de plus de soixante mille habitans, la ville de Kiev présente un aspect de tranquillité et même de monotonie qui reflète assez exactement le caractère des populations de la Russie du midi. Il n’y a de mouvement qu’à l’époque des foires, où tous les propriétaires se donnent rendez-vous, et où les affaires les plus importantes se traitent ordinairement par contrat.

Le peu de ruines archéologiques que présente la Russie méridionale ne saurait éclairer l’histoire des peuples qui ont successivement occupé cet immense territoire. Le système de construction en usage est tel que les ruines disparaissent complètement dans l’espace d’un siècle. La pierre est fort rare; malgré la présence de quelques gisemens granitiques, on l’emploie très peu à cause du prix de revient, qui en est relativement élevé. La brique est également fort chère. Aussi les incendies sont-ils le fléau d’une contrée où toutes les maisons sont construites en bois, où, pendant la plus grande partie de l’année, la rigueur du climat exige un chauffage constant. Au premier cri d’alarme, les paysans commencent par transporter devant leurs maisons les chétifs objets qui en meublent l’intérieur; cette précaution n’est pas inutile, car il arrive presque toujours que les débris enflammés qui s’échappent du foyer de l’incendie, poussés par le vent, propagent le désastre, et embrasent rapidement tout le