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affaires entre leurs mains. Aucune transaction ne se fait sans l’intermédiaire d’un courtier juif; si deux propriétaires qui se connaissent veulent conclure un marché de grains ou de bestiaux, au lieu de traiter directement entre eux, ils font intervenir cet agent. Il se trouve parmi les Juifs des capitalistes très riches; ils ne possèdent pas de biens-fonds, toute leur fortune est en portefeuille. Tout ce que le paysan épargne, peut-être aussi le plus clair du revenu des propriétaires passe entre leurs mains. On se ferait difficilement une idée du mépris attaché à leurs personnes; les serfs eux-mêmes les estiment très au-dessous d’eux et ne leur parlent qu’en les tutoyant comme à des inférieurs. Les Juifs ont accepté cette position dégradante, et ils s’en consolent en s’enrichissant. On ne comprend guère comment un peuple nombreux, bien supérieur à la population rurale par l’intelligence, la position et surtout la sobriété, a pu accepter dans la société un rôle aussi humiliant. Comment n’a-t-il pas cherché à vivre de sa propre force, à créer par son travail des richesses bien faciles à développer dans un pays aussi heureusement situé? Les Juifs ne veulent pas, ne savent pas créer des produits; ce qu’il leur faut, c’est une existence incertaine, alimentée avec les profits plus ou moins licites qu’ils retirent du travail d’autrui, et dont ils se servent pour entretenir leur oisiveté ascétique et maladive.

On rencontre dans la Petite-Russie une classe d’habitans qui a son origine dans le servage et son analogue dans ce qu’on appelait aux colonies le nègre marron. On désigne sous le nom de bourlaques tous les ouvriers qui voyagent dans l’intérieur du pays et vont louer leurs services dans les usines et dans les grandes exploitations rurales. Presque tous ces hommes sont des serfs qui ont abandonné leurs villages, soit pour se soustraire aux mauvais traitemens de leurs maîtres, soit pour toute autre cause. Il y a parmi ces aventuriers des gens fort honnêtes ; mais le nom de bourlaque est généralement un terme de mépris qui équivaut à celui de vagabond. Les paysans d’un village où des bourlaques viennent louer leurs bras ne les regardent qu’avec des airs de supériorité fort réjouissans. Une fois que le serf réfractaire a quitté son maître et s’est exilé de son village, il mène une vie beaucoup moins heureuse que dans son pays, mais il n’y retourne jamais de plein gré. Il y a des couples de bourlaques qui passent leur vie à parcourir les fermes et les fabriques par amour de l’indépendance. Un ménage de bourlaques change de place douze fois par an, car hommes et femmes louent leurs services au mois et par paire. Les Juifs, qui sont ordinairement les entrepreneurs de la main-d’œuvre dans les fabriques, ont une manière spéciale de retenir ces ouvriers nomades, et ce