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on en estimait, il y a quelques années, la récolte à plus de 200 millions d’hectolitres. La moitié environ est consommée suri)lace par les peuples vignerons des provinces du Caucase; l’autre partie, dont la récolte se fait en Crimée ou sur le littoral de la Mer-Noire, donne lieu à une industrie considérable, la fabrication des vins liquoreux de tous les noms possibles, et dont les habitans de la Russie du nord sont particulièrement amateurs. Du reste, le vin n’est pas une boisson habituelle aux Petits-Russiens ; l’usage de l’eau-de-vie lui fait tort; ce sont les liquides très alcooliques comme le xérès, et surtout le porter anglais, qu’on préfère au meilleur bourgogne. Si les Russes consomment beaucoup de Champagne, c’est que ce vin est une boisson mousseuse et de grand luxe. La fabrication de la bière a peu d’extension, quoique les élémens en soient à très bon marché. Le peuple compose une boisson de ménage avec des fruits acides ou des croûtes de pain mis en fermentation ; c’est un liquide mousseux nommé kras qui n’a pas une grande force et qu’on ne boit que dans les maisons où l’eau-de-vie ne paraît pas. Enfin en fait encore une boisson à peu près semblable avec du miel et qu’on vend au verre sur les marchés, comme à Paris la limonade.

« Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es, » a écrit Brillat-Savarin en paraphrasant un vieux proverbe; c’est qu’en effet l’alimentation d’un peuple indique non-seulement ses mœurs et ses habitudes, mais encore ses passions. Une nourriture succulente, raffinée, indique un peuple spirituel, élégant; une alimentation copieuse, mais peu recherchée et d’une préparation culinaire à peu près nulle, dénote un peuple simple, qui en est encore aux premiers bienfaits de la civilisation. Il y a dans la Petite-Russie deux mets nationaux qui sont la base indispensable du régime quotidien. Ces deux ragoûts essentiels s’appellent l’un le borche, l’autre le kâche. Le borche est un potage fabriqué avec des légumes aigris, particulièrement des choux et des betteraves, auxquels on ajoute un morceau de viande de bœuf ou de lard salé. Si l’on juge de la qualité indigeste de ce mets favori par son énergie purgative, on sera surpris d’apprendre que rien au monde ne surpasse la valeur de cet aliment pour un estomac petit-russien. Dans les jours maigres, la viande est supprimée et remplacée par l’huile ou le poisson. Aucun mets de la cuisine française n’offre quelque analogie avec le borche, et quoique la choucroute allemande soit aussi composée de choux fermentes, il n’y a pas la moindre ressemblance entre ces deux préparations. Le bouillon du borche se mélange avec les légumes; il a ordinairement une couleur rose; l’odeur en est acide, mais d’une acidité pénétrante qui rappelle le faro de Bruxelles. Quant au kàche, c’est un aliment farineux, l’ancien brouet des Spartiates; il n’a aucune odeur particulière, et se prépare avec les grains émondés du