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Celui-ci mit la tortueuse habileté de l’homme de loi au service de la cupidité passionnée de la régente. Louise de Savoie voulait-elle épouser le connétable ou le dépouiller ? Les contemporains les mieux instruits ont cru qu’elle espérait l’amener à une transaction matrimoniale semblable à celle qui avait terminé en 1505 le différend entre les deux lignes par le mariage de Charles et de Suzanne[1]. Si elle ne parvenait pas à y décider le connétable, plus jeune qu’elle, et qui ressentait à son égard un dégoût mêlé d’animosité, elle comptait sur ses titres spécieux comme plus proche parente, sur son autorité comme mère du roi, sur la faiblesse du parlement, soumis à l’influence du chancelier, pour l’en punir en le dépossédant.

Elle intenta donc un procès au connétable. Dans quel moment le fit-elle ? Lorsque François Ier, en butte à une coalition extérieure formidable, avait besoin de tenir unies toutes les forces de son royaume, et d’en disposer contre les ennemis qui projetaient de lui enlever ses conquêtes en Italie et d’envahir même les frontières de France. Non-seulement il laissa sa mère poursuivre le connétable, mais il se joignit à elle. Il réclama les possessions apanagères comme échues au domaine royal. Le connétable était ainsi menacé de perdre tout ce qui, dans l’héritage des Bourbons, étant féminin, serait dévolu à la duchesse d’Angoulême, et étant masculin serait annexé à la couronne. La mauvaise volonté et la puissance de ses deux adversaires lui firent craindre une spoliation complète. La ruine allait s’ajouter à la disgrâce, et cette imminente iniquité mit le comble à toutes les anciennes offenses. Près de tomber de la plus haute position dans l’abaissement le plus insupportable à son orgueil, d’une opulence presque royale dans une détresse humiliante, il n’y tint point. Son cœur altier se révolta à cette pensée, et tout en soutenant ses droits il prépara ses vengeances.

  1. Henri VIII disait à l’ambassadeur de Charles-Quint : « Il n’y a eu malcontentement entre le roi François et le dict de Bourbon sinon a cause qu’il n’a volu espouser madame la régente, qui l’ayme fort. » (Dépêche de Louis de Praet à l’empereur du 8 mai 1523, Archives impériales et royales de Vienne.) — L’historien contemporain Belcarius dit : « Carolo Borbonio… infensa erat Ludovica Sabaudiana Francisci mater ; quibus de causis non satis proditur : alii quod fœmina jam natu grandior Borbonii tertium duntaxat, aut quartum, et tricesimum annum agentis matrimonium ambiret, a quo eundem abhorrere, resciisset. » Belcarius, Cotnmentarii Rernm gallicarum, lib, vu, f. 528. — Antoine de Laval, capitaine du château de Moulins et continuateur de Marillac, dit expressément : « Il fait (le connétable) des réponces rudes à ceux qui luy parloient de faire une seconde transaction semblable à celle qu’il fit avec feue madame Suzanne. On dit encore parmi nous les mots dont il usoit, qui sont un peu trop crus et piquans pour être redits. » — Desseins de Professions nobles, etc., f. 282 v°.