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croyaient, comme on l’avait dit la veille, aller à Carlat[1]. Ce ne fut pas sans surprise et sans mécontentement qu’ils apprirent la fuite du connétable. Un de ses valets de chambre, nommé Bartholmé. leur annonça qu’il était parti en petite compagnie. François du Peloux, qui était sans doute dans sa confidence, et qui le rejoignit bientôt avec quelques autres, s’écria alors : Sauve qui peut. « Il eût mieux valu, dit Robert de Grossone, se faire tuer avec ses gentilshommes que s’exposer à être pris comme un valet. Je pense m’être acquitté de la nourriture que j’ai reçue chez lui. Vous m’êtes témoins que je ne l’ai pas laissé, c’est lui qui me laisse[2]. » La troupe se dispersa. Peloux, Lallière, Tansannes, Saint-Bonnet, Desguières, Brion, etc., se sauvèrent de château en château, emportant avec eux quelques-unes des casaques doublées d’écus d’or, et se dirigèrent vers la Franche-Comté[3].

Le connétable n’avait pas encore quitté le château d’Herment. Il s’était enfermé dans sa chambre avec ceux qui devaient être les compagnons peu nombreux de sa fuite[4]. A l’aube du jour, il se mit en route, précédé du châtelain Henri Arnauld, qui dut lui servir de guide. Il avait laissé la robe de velours qu’il portait à son arrivée, et s’était vêtu d’une robe courte de laine noire appartenant à l’un de ses gens. Deux gentilshommes de ses plus affidés, Pomperant et Godinières, le suivaient seuls avec son médecin, Jean de L’Hospital, et deux de ses valets de chambre, ayant chacun un aubergeon rempli d’or, et mettant tour à tour sur la croupe de leur cheval une petite malle qui pesait beaucoup pour son volume, et dans laquelle étaient probablement les pierreries et les joyaux du connétable. Le châtelain d’Herment avait reçu défense de le désigner, même involontairement, par ses respects, et, pour qu’on ne le cherchât point sous le déguisement qu’il avait pris, le connétable ne se distinguait d’aucun des siens. Ils mangeaient tous à la même table, et quittaient chaque matin, avant le jour, le gîte où ils s’étaient arrêtés la veille[5].

Dans la première journée, les fugitifs arrivèrent à Condat. Henri Arnauld ne connaissait plus la route. Le connétable prit alors pour guide un cordonnier du pays qui le mena jusqu’à Farrières; mais là

  1. Mss., f. 03, et déposition de Saint-Bonnet, f. 48 v°.
  2. Déposition de Robert de Grossone, ibid., f.
  3. Déposition de Desguières, f. 59.
  4. Déposition du châtelain d’Herment, f. 94 r°.
  5. Tous ces détails et la désignation de tous les lieux par où passa le connétable dans sa fuite sont contraires au récit de Du Bellay, qui a servi de fondement à l’histoire : ils sont tirés de la déposition d’Henri Arnauld, qui accompagna le connétable du château d’Herment au château de Pomperant, non loin de Saint-Flour. — Ibid., fol. 92 à 98.