Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/952

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais à quelle condition? A la condition d’être cent fois plus redoutables quand elles éclateraient, car la modération des achats n’entraîne qu’une suspension de travail, tandis que la faillite d’un négociant a pour conséquence la suppression des métiers. Au milieu de cette métamorphose universelle, nos produits conserveraient-ils leur supériorité? Cela est peut-être douteux. Il est très difficile d’apprécier les causes de la supériorité en matière de goût; on peut dire au moins que trois personnes concourent à la perfection de nos soieries : le dessinateur, le fabricant et l’ouvrier, La preuve que la supériorité du dessin n’est pas tout, c’est que nos modèles sont copiés partout avec la dernière exactitude, et ne sont égalés nulle part. Quand nous aurons remplacé la main de l’homme par des machines, peut-être devrons-nous nous estimer heureux de réussir aussi bien que les Anglais.

Faisons-nous, en parlant ainsi, la guerre aux machines, à la vapeur, et à tout ce qu’on est convenu d’appeler la grande industrie? Le ciel nous en préserve. Le moteur mécanique est un progrès réel, puisqu’il exempte de plus en plus les hommes de l’obligation d’être des bras, et qu’il leur permet de plus en plus d’être des intelligences. Il augmente le bien-être des ouvriers, puisqu’il met à leur portée des meubles, des étoffes, qui étaient encore, il y a moins de cent ans, des objets de grand luxe. Le mètre de coton, qui coûte aujourd’hui 1 franc, aurait coûté 3 francs avant la révolution; la consommation des produits manufacturés était en 1788 de 38 francs pour chaque habitant, et de 125 francs en 1847; mais nous ne parlons ici que de l’industrie de la soie, dont la situation est toute particulière, et nous ne faisons pas de thèse générale. Il y a certainement quelques industries où l’on peut forcer la fabrication pour forcer le marché; quant au marché de la soie, aujourd’hui immense, il paraît avoir atteint tout son développement. Lutter par la fabrication grossière et les bas prix contre le fin et le coton serait une entreprise ruineuse pour le producteur et sans utilité réelle pour le consommateur. Il ne serait donc pas à propos, dans cette question, de répéter que l’intérêt de la consommation prime tout, et que si la machine produit de meilleurs résultats ou les mêmes résultats à moindre prix, on doit appeler la machine, parce que l’intérêt du fabricant, comparé à celui du consommateur, est toujours éphémère, la force délaissée ne manquant jamais, au bout de quelque temps, de trouver un emploi utile. La question est toute différente. L’humanité peut se passer d’avoir un plus grand nombre de robes de soie ; mais la France ne peut pas laisser l’industrie de la soie sortir de chez elle. Il n’y a au fond à se préoccuper que de la concurrence, et tant que le travail isolé nous permettra de tenir tête