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qui, par pure curiosité, aurait acclimaté en Dauphiné ces arbres déjà connus et cultivés dans le Comtat.

Cette conjecture pourrait bien être vraie. En effet, M. de Gasparin a démontré avec la plus complète évidence que la culture du mûrier et l’élevage du ver à soie étaient entrés en France par la Provence et à la suite des conquêtes de Charles d’Anjou. Dès la fin du XIIIe siècle, il se fabriquait des taffetas à Marseille. En 1345, Roland, sénéchal de Beaucaire et de Nîmes, envoyait à Jeanne de Bourgogne douze livres de soie de Provence achetée à Montpellier, et devenue par conséquent un objet d’exportation. À cette même époque, les papes habitaient Avignon. Comment auraient-ils pu ne pas chercher à introduire aux environs de cette ville une industrie dont en Italie, et même à côté d’eux, ils avaient dû apprécier l’importance chaque jour croissante ? Aussi un autre Roland, celui qui fut successivement ministre de Louis XVI et de la république, et qui, avant de jouer un rôle politique, s’était beaucoup occupé d’agronomie, a-t-il attribué aux papes l’honneur d’avoir été les premiers propagateurs de la sériciculture en France. M. de Gasparin combat ce que cette opinion a d’exagéré, tout en admettant que les souverains pontifes ont pu jouer le rôle d’initiateurs pour le Comtat-Venaissin. M. Fraissinet, pasteur protestant et auteur d’un ouvrage justement estimé sur l’élevage des vers à soie, confirme encore cette manière de voir en s’appuyant sur le témoignage formel de plus d’un chroniqueur. À cette époque d’ailleurs, la Provence et le Comtat étaient étrangers à la France, et si, comme tout l’indique, l’arbre d’or y fut d’abord cultivé, il y resta longtemps comme emprisonné. Louis XI le transporta en Touraine et installa dans son parc du Plessis-lès-Tours François le Calabrais avec ses compagnons, chargés d’initier les populations voisines à toutes les industries séricicoles (1466). Catherine de Médicis suivit cet exemple. Grâce à elle, il se fit de nombreuses plantations dans l’Orléanais, le Bourbonnais, et les capitouls de Toulouse établirent une sorte de pépinière non loin des remparts de leur ville (1540-1560). Grâce à ces encouragemens des souverains, le centre de la France semble avoir pris les devans sur le bassin du Rhône. En 1533, Champier, un des fondateurs du collège de médecine de Lyon, déclare dans son Horius Gallicus que la culture du mûrier n’est qu’un objet de pure curiosité ; mais en 1586 cette industrie avait grandi dans ces contrées, car une ordonnance de Henri III de cette année porte que « par toutes les villes assizes le long de la rivière du Rosne, il y a plusieurs milliers d’hommes, femmes et enfans, qui solloyent gaignier leur vie à filer soie… »

Parmi les hommes qui vers cette époque contribuèrent le plus à répandre et à populariser l’élève du mûrier, il faut compter un simple