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de nouvelles. Cette tendance était accusée par un fait des plus significatifs. L’industrie des pépinières de mûriers avait pris un développement tel qu’elle avait pour ainsi dire remplacé toutes les autres sur certains points. Aux environs de Romans, par exemple, des communes entières lui devaient une prospérité exceptionnelle. Ces jeunes mûriers s’expédiaient sur presque tous les points de notre territoire ; partout surgissaient des plantations nouvelles, partout le mûrier venait s’associer aux cultures le plus anciennement pratiquées ; partout aussi l’importance de la sériciculture, le bien-être qu’elle apporte aux populations agricoles se manifestaient par l’accroissement de la valeur des terres. Chaque année, sous la main de nos sériciculteurs, nos magnifiques races françaises se multipliaient ; les races étrangères, introduites pour répondre aux besoins des manufacturiers, s’amélioraient. Quelques années encore, et l’on pouvait prévoir le moment où la France, faisant un grand pas en avant, comprendrait enfin qu’au lieu d’acheter des cocons à l’étranger, c’est elle qui doit lui en vendre.

Tout à coup, en 1854, la production de cocons baisse de plus de 4 millions de kilogrammes, l’année suivante de près de 6 millions. En 1856 et 1857, elle tomba à 7 millions et demi de kilogrammes ; 18 millions et demi de kilogrammes de cocons manquèrent à nos manufactures. Au prix moyen mentionné plus haut, c’était pour notre agriculture une perte de 90 millions, et si, par suite de la plus-value des cocons, cette perte se trouva répartie entre les sériciculteurs et les fabricans, elle n’en retomba pas moins tout entière sur le pays. Un mal étrange, dont les plus vieux magnaniers n’avaient conservé aucun souvenir, avait envahi nos chambrées. Les œufs, mis à l’incubation comme à l’ordinaire, n’éclosaient plus ou ne donnaient naissance qu’à des vers languissans, dont la plupart disparaissaient peu à peu. Ceux qui échappaient au fléau et tissaient leurs cocons succombaient aux épreuves de la métamorphose ou ne donnaient que des papillons rabougris et sans force, dont la graine reproduisait, à un degré bien plus marqué encore, les mêmes phénomènes.

Les populations résistèrent d’abord avec courage. Pendant quelque temps encore, on planta des mûriers ; on vit des sériciculteurs, jaloux de conserver nos belles races, soigner leurs chambrées jusqu’au bout, recueillir les rares cocons qu’ils avaient non plus à peser, mais à compter, et lutter ainsi corps à corps avec le fléau ; mais, toujours vaincus, ils se lassèrent. L’industrie des pépinières se ralentit et tomba, annonçant ainsi l’arrêt sérieux subi par la sériciculture. Dans les départemens où cette industrie n’est encore qu’un accessoire, on cessa d’élever des vers à soie, on alla jusqu’à arracher des mûriers. Dans le seul arrondissement de Toulon, sur dix-sept propriétaires pris au hasard, deux seulement ont conservé