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Or, dès notre arrivée à Lyon, au mois d’avril 1858, mes collègues et moi pûmes constater la parfaite apparence des arbres. À mesure que nous avancions vers le midi, la feuille, plus développée, nous paraissait de plus en plus belle et saine. Impossible de découvrir une seule de ces taches noires, un seul de ces rameaux flétris dont on avait tant parlé. Orange, Avignon, Nîmes, Montpellier, nous montrèrent partout le même spectacle d’arbres du plus bel aspect, couverts d’une feuille de la plus belle venue ; tous les éducateurs la déclaraient magnifique. Mes collègues, plus particulièrement chargés de cette partie de la mission, ne voulurent pourtant point s’en fier à ces apparences. Des feuilles de diverses races, de divers âges, et prises dans les localités les plus différentes, furent cueillies avec précaution, explorées avec des soins minutieux, pesées et desséchées sur place pour être plus tard analysées. Le résultat de toutes ces études fut de constater de la manière la plus positive qu’au point de vue de la composition élémentaire aussi bien qu’à celui de la constitution anatomique, les feuilles de mûrier ne s’écartaient en rien de l’état normal. L’analyse chimique, l’investigation microscopique concordaient donc pleinement avec l’appréciation des sériciculteurs les plus exercés. Cette fois praticiens et savans se trouvaient d’accord, et ce n’était pas seulement en France qu’on jugeait ainsi de la feuille. De toutes les contrées ravagées par le même mal arrivaient des témoignages semblables.

Que penser d’une prétendue maladie qui ne se trahit par aucun symptôme appréciable ? Évidemment elle n’existe pas. Aussi, lorsqu’on vit les vers à soie élevés avec cette magnifique feuille mourir comme les années précédentes ; lorsque, la récolte pesée, il se trouva que 1858 avait produit encore moins de cocons que 1857[1], un revirement général se fit dans l’opinion, et tous les esprits droits reconnurent que l’origine du mal était ailleurs que dans les feuilles. Dans ma campagne de 1859, j’ai pu constater à ce sujet des conversions nombreuses et significatives. Des expériences directes, instituées volontairement ou amenées par la force des choses, confirmaient d’ailleurs ce résultat général. De tout temps, sur tous les mûriers, il y a eu quelques feuilles tachées par les brouillards, la gelée blanche, les insectes, les cryptogames de diverses espèces. Tant que les éducations marchaient bien, on ne songeait guère à s’inquiéter de ces accidens sans conséquence, et par cela même on ne les voyait pas ; les savans seuls avaient dû s’en rendre compte. Depuis l’invasion du mal au contraire, et sous l’influence d’idées préconçues, les moindres taches ont été recherchées avec soin. Alors on

  1. Duseigneur, Inventaire de 1858.