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de vers à soie, représentant au prix d’alors tout au plus 4 millions. De plus, dans tous les pays vraiment séricicoles, chaque éducateur faisait lui-même sa graine, qui ne lui coûtait ainsi que quelques livres de cocons. Aujourd’hui, et depuis que l’épidémie s’est répandue, il faut qu’il achète des graines au dehors et les paie argent comptant. Pour multiplier ses chances, il en prend de diverses provenances, et double ou triple l’approvisionnement qui lui serait nécessaire. Ainsi s’est accrue chaque année la consommation de la graine, dont le prix a haussé dans la même proportion. En 1858, les sériciculteurs ont acheté au moins de 55 à 60,000 kilogrammes d’oeufs, payés par eux de 26 à 28 millions. Ce chiffre égale, s’il ne le surpasse, le gain net des producteurs. Ceux-ci, considérés dans leur ensemble, ont donc travaillé pour rien, ou même à perte. Les marchands de graine seuls ont bénéficié.

Cette considération devrait suffire pour engager les sériciculteurs, à tout tenter pour se remettre en graine. Il en est une autre, plus sérieuse peut-être, qu’ils devraient avoir sans cesse présente à l’esprit. Chaque année, nous l’avons déjà dit, le mal envahit quelque région nouvelle ; chaque année la Turquie, l’Asie-Mineure, qui ont pour la plus forte part approvisionné nos marchés depuis quelque temps, peuvent être frappées à leur tour. Alors où irons-nous chercher ces graines que déjà nous payons si cher ? Sera-ce dans l’Inde ? Sera-ce en Chine ? Mais on assure que déjà le mal s’est montré dans ces régions, et, s’il n’y est pas encore aujourd’hui, tout amène à conclure qu’il les atteindra tôt ou tard. Faudra-t-il donc alors renoncer à la sériciculture et donner raison à ces prophètes de malheur qui ont annoncé la fin prochaine de cette industrie et se sont mis à arracher leurs mûriers ?

Dès ma première campagne, j’ai combattu ces conclusions désolantes. Dès cette époque, j’ai montré, en m’appuyant sur l’observation, sur l’expérience, que jusque dans les localités les plus éprouvées il était possible d’élever des vers capables de se reproduire pendant un nombre indéterminé de générations. Tout ce que j’ai vu en 1859 n’a fait que fortifier mes convictions. Quelque général et universel que soit le mal dans les grandes chambrées industrielles, il n’en respecte pas moins à des degrés divers les petites éducations. J’en ai rencontré qui, faites dans des conditions très mauvaises, s’étaient cependant maintenues pendant quatre et cinq années de suite. Le degré d’immunité dont elles jouissent est d’ailleurs presque rigoureusement en rapport direct avec leur petitesse. Il n’y a dans ce fait rien qui doive nous surprendre ; ce n’est que la manifestation chez les vers à soie d’une de ces lois générales qui régissent tous les êtres vivans, depuis les derniers animaux jusqu’à