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se rendre à Lyon auprès de sa femme et de sa mère. Le roi sans doute, ainsi environné, pouvait l’abandonner dans un instant de faiblesse ; mais Richelieu comptait sur sa parole, sur des amis qu’il laissait auprès de lui, qui chaque jour lui envoyaient d’exactes nouvelles et surveillaient les manœuvres de la reine-mère. Il ne pouvait d’ailleurs songer à le suivre ; il sentait trop qu’en un pareil moment son éloignement du théâtre de la guerre eût été la ruine définitive de l’armée, la perte infaillible de ses desseins, et Richelieu avait une de ces âmes qui préfèrent leurs desseins à la fortune et à la vie. Il resta donc à Saint-Jean-de-Maurienne, bravant l’épidémie qui sévissait partout, et avec sa misérable santé se livrant à un travail sous lequel eût succombé l’homme le plus robuste que la passion du succès n’eût pas soutenu.


VI

Pendant tout ce temps, Mazarin avait vécu dans une agitation continuelle. Le nonce Pancirole l’avait tour à tour envoyé au duc de Savoie, tantôt à Veillane, tantôt à Saviglian, au camp espagnol sous Casal, à Como, où s’était retiré le lieutenant de l’empereur. Plusieurs fois aussi, n’épargnant aucune fatigue, il était revenu en Savoie, à Chambéry[1] et à Saint-Jean-de-Maurienne[2], apportant des informations utiles, mais non l’assurance de cette paix qu’il poursuivait toujours et qu’il n’atteignait jamais. Le nonce apostolique en France, le cardinal de Bagni, qui était en Savoie auprès du roi et de Richelieu, n’avait pas dissimulé à Mazarin la fâcheuse impression qu’avaient produite tant de négociations inutiles ; il l’avait même invité à ne revenir à Saint-Jean-de-Maurienne qu’avec des conditions de paix raisonnables et bien arrêtées. « Le roi m’a déclaré, écrivait Bagni le 19 juillet[3], qu’il auroit fort à se plaindre de vous si veniez avec des propositions inacceptables, qu’il ne verroit là que des stratagèmes inventés pour tirer les choses en longueur, et à l’aide de belles paroles, amener la chute de Casal. » Mais Mazarin avait la conscience de mériter des éloges et non des reproches ;

  1. Mémoires de Richelieu, t. VI, p. 94-101. Mazarin arriva à Chambéry le 20 mai, travailla avec Bouthillier, Bullion et Chàteauneuf, et repartit le 28 de ce mois.
  2. Ibid., p. 138-145. Mazarin vint à Saint-Jean-de-Maurienne le 3 juillet, et en repartit le 6.— « Le 4, dit Richelieu, il avait remis au roi une relation signée de sa main du voyage qu’il avoit fait d’Italie vers sa majesté, qu’il avoit trouvée à Chambéry, et de celui que, de là, il avoit faict en Italie vers Collalto, le duc de Savoie et le marquis de Spinola, et de ce qu’il en rapportoit lors a sa majesté, qu’il étoit vécu trouver à Saint-Jean-de-Maurienne, etc. » Nous avons en vain cherché cette relation de Mazarin dans les papiers de Richelieu conservés aux archives des affaires étrangères.
  3. Lettre de Bagni à Mazarin, datée de Saint-Jean-de-Maurienne, le 19 juillet 1630, archives des affaires étrangères, France, t. LIII, fol. 299.