Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 26.djvu/274

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Charles-Emmanuel, à son lit de mort, l’avait exhorté à faire la paix ; il lui montra que tous ses états d’en-deçà et d’au-delà les Alpes étant occupés par les Français, son dernier asile était l’affection de son beau-frère Louis XIII, que le temps était venu de renoncer au double jeu qui avait si mal réussi à son père, et de s’attacher sincèrement à la France, qui, n’ayant aucune prétention en Italie, favoriserait très volontiers une maison alliée et amie, et il lui dit qu’il était particulièrement chargé de la part du cardinal de lui promettre les plus grands avantages. À cette flatteuse ouverture, le fils de Charles-Emmanuel avait prêté l’oreille, et, fidèle au génie de sa race jusque dans la dernière infortune, sur-le-champ il était revenu à tous les rêves de sa famille, et il avait fait demander par un de ses plus intimes confidens qu’on l’aidât à s’emparer de diverses parties du territoire de Gênes, et même, on aurait peine à le croire si Richelieu ne l’affirmait, qu’on le fît nommer roi des Romains. Il avait fallu lui faire entendre que, dans les circonstances présentes, on ne se pouvait mettre un ennemi de plus sur les bras, et qu’avant de travailler à placer sur sa tête la couronne de roi des Romains, on se voulait assurer un peu de ses dispositions envers la France[1]. Mazarin avait auprès du jeune duc un avocat bien puissant, la nécessité, il s’en servit, et en peu de temps[2] il amena Victor-Amédée où il désirait. Il ne lui fut pas bien difficile de faire sentir à Collalto qu’il ne lui importait guère de ménager à Spinola un succès égal au sien, et de donner à l’Espagne une place forte qui couvrait le Milanais et tôt ou tard lui ouvrirait le Montferrat[3]. Il ne restait plus à persuader que Spinola, et ici Mazarin se croyait bien sûr du succès, puisqu’il apportait, revêtues du consentement de la France, de la Savoie et de l’empire, les conditions mêmes que le chef espagnol lui avait faites.

Il accourut donc avec confiance au camp de Spinola[4], et, introduit auprès de lui, il se hâta de lui donner la bonne nouvelle que le roi de France et le cardinal de Richelieu, se fiant à son honneur et à sa parole, acceptaient ses propositions et remettaient Casal entre ses mains, qu’ainsi le jour tant désiré était venu où il allait mettre le sceau à sa gloire en rendant la paix à l’Italie et à l’Europe. Mais au lieu des transports de joie qu’il attendait, il fut bien étonné de

  1. Mémoires de Richelieu, t. VII, p. 241-243.
  2. Dès le 6 du mois d’août, c’est-à-dire trois jours après son départ de Saint-Jean-de-Maurienne, Mazarin s’était empressé d’écrire au nonce Bagni que sa première entrevue avec Victor-Amédée lui donnait de grandes espérances. Le 10, il en avait reçu une réponse où Bagni lui marquait la satisfaction de Richelieu. Cette réponse, datée de Saint-Jean-de-Maurienne le 10 août 1630, est aux archives des affaires étrangères. — France, t. LIII, f. 381.
  3. Brusoni, p. 161.
  4. Pour tout ce qui suit, voyez Benedetti, p. 29-33, et Brusoni, p. 158 et 159.