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imprimait partout le silence. Les généraux étaient encore à la tête des premiers bataillons ; les enfans perdus et les volontaires s’étaient jetés en avant et touchaient déjà aux retranchemens espagnols. Tout à coup de ces retranchemens on vit sortir et s’élancer dans la plaine, entre les deux armées, un cavalier qui, se faisant jour à travers les boulets et les balles, tenant d’une main son chapeau et de l’autre un crucifix au lieu d’épée, s’écriait d’une voix forte : La paix ! la paix[1] ! C’était Mazarin. Il s’avança vers Schomberg et lui dit que la proposition dont ils étaient tombés d’accord le matin était acceptée et la paix faite. Les Français étonnés s’arrêtèrent, et on commençait à s’expliquer, quand deux volées de canon parties du côté des Espagnols vinrent irriter et enflammer nos soldats, qui s’ébranlèrent de nouveau pour se jeter sur l’ennemi. Mazarin se précipita vers le camp espagnol et fit cesser le feu ; puis, revenant en toute hâte et redoutant quelque incident nouveau, il proposa aux généraux français d’avoir à l’instant même une conférence. Le marquis de Sainte-Croix sortit de son camp avec trente de ses principaux officiers ; les maréchaux de France en firent autant, et la conférence s’établit ainsi sur le champ de bataille. « Il faisait fort bon voir, dit encore Richelieu, cette entrevue de tant de gens de qualité armés de toutes pièces, à la vue de deux grandes armées, pour décider un différend le plus important de la chrétienté. Après les embrassades et complimens qui furent faits et reçus de part et d’autre, et que l’on eut convenu de ce qui se devait exécuter, chacun se retira dans son armée, sans avoir nulle autre assurance l’un de l’autre que la seule parole et la foi des généraux. »

Le lendemain, 27 octobre, commença l’exécution de ce qui avait été convenu la veille : les Espagnols sortirent de Casal à la grande

  1. Voyez Richelieu, Benedetti et Brusoni. Aucun des trois ne parle de crucifix ; mais le mémoire anonyme dit positivement que Mazarin, pour imposer davantage aux combattans, avait pris la croix du cardinal-légat et la portait à la main. L’abbé Castiglione dit à peu près la même chose, non pas dans l’histoire de Victor-Amédée, mais dans celle de la régence de Madame Royale, en faisant un retour sur l’action de Mazarin à Casal : « Allora quando frapostosi con un crocifisso in vzce di spada trà gli eserciti. » Brienne, dans ses mémoires inédits, que nous avons déjà cités, t.Ier, p. 285, donne cette fin de la dépêche de l’ambassadeur vénitien : « La prophétie du cardinal Bentivoglio vient donc de s’accomplir à Casal. Quand on songe à l’ardeur qu’avoient les Français pour combattre, cela tient du prodige. Quelque consommé que soit dans les affaires Pancirola, il ne serait sans doute pas venu si facilement à bout que son collègue de cette importante négociation. Mazarini s’exposa à la fureur des soldats pour donner la paix à l’Italie. Plusieurs même tirèrent sur lui quelques coups de mousquet ; mais l’intrépide ambassadeur, faisant voltiger d’une main une feuille de papier blanc et de l’autre son chapeau, et criant : La paix ! la paix ! passa au travers des mousquetades sans en être atteint, sans témoigner de crainte, et l’accord fut conclu sur le champ de bataille, chose qui n’étoit pas encore arrivée que je sache, et qui méritoit bien, à mon avis, de vous être mandée. »