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M. de Chavry n’avait changé aucune de ses habitudes ; il avait continué à vivre près de sa femme comme si jamais elle ne lui eût fait aucune confidence. Deux jours après la détermination prise par Pauline, il avait plusieurs personnes à dîner. Dans le courant de la soirée, George s’approcha de lui :

— N’avez —vous pas quelques commissions à me donner pour Smyrne ou Constantinople ? lui dit-il. Je vais partir pour l’Orient.

Si maître qu’il fût habituellement de ses impressions, M. de Chavry ne put éteindre l’éclair de joie qui traversa son regard. Il étouffa le soupir de soulagement qui dilatait sa poitrine. Il remercia George de ses offres, et lui parla avec un abandon qui ne lui était pas ordinaire.

En apprenant le départ de son fils, Mme d’Alfarey jeta les hauts cris ; elle courut chez Pauline. — Le laisserez-vous partir ? lui dit-elle.

Lasse, énervée, courbée sous le poids trop lourd de sa propre résolution, Pauline brisa la glace d’un mot : — Un de nous deux doit s’éloigner, dit-elle, lui ou moi ; s’il reste, je pars !

Mme d’Alfarey n’en croyait pas ses oreilles ; elle se creusait la tête. — Quelle est cette comédie-là ? se disait-elle, et elle n’y comprenait rien.

Le jour du départ était venu. Pauline se cramponnait à sa volonté ; la lutte n’était pas éteinte en elle. Vingt fois elle avait été sur le point d’écrire à George : Restez ! Vingt fois elle avait pensé à le suivre. Quant à lui, sa bataille était finie, il était résigné. Peut-être cependant n’aurait-il point quitté Paris et eût-il essayé de continuer cette lutte dangereuse, s’il avait rencontré près de lui, chez sa mère, un soutien moral qui eût pu l’encourager ; mais au lieu de ces conseils sévères et parfois douloureux à suivre que son père lui eût certainement donnés, il ne trouvait en elle que des railleries peu généreuses, une ignorance absolue des sentimens dont il avait nourri et fortifié sa passion.

Il alla faire ses adieux à Pauline. À force de raisonnemens, ils s’étaient, pour ainsi dire, prémunis contre leur émotion ; elle fut vive cependant, si vive que George se leva précipitamment pour la fuir.

— Adieu, dit-il ; quand vous reverrai-je ? Le sort seul en décidera ; je pars pour un exil qui n’aura de terme que par votre volonté.

Il s’arrêta, il baissait les yeux et n’osait regarder Pauline, qui, assise et la tête renversée contre son fauteuil, laissait couler ses larmes. — Vous ne m’avez jamais rien donné, reprit-il en froissant, comme pour se donner une contenance, quelques bijoux répandus sur le marbre de la cheminée ; laissez-moi emporter un de ces bi-