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avec l’armée fugitive. Il le fit de nuit avec assez de désordre, et en perdant beaucoup de monde. La Sesia franchie, il se mit en pleine retraite, poursuivi par les corps les plus avancés des impériaux, sous Bourbon et Pescara. Blessé grièvement au bras d’un coup d’arquebuse, il abandonna le commandement de l’armée. Il le laissa au comte de Saint-Paul et au chevalier Bayard, chargés de diriger cette difficile retraite.

Le vaillant chevalier était aussi un expérimenté capitaine. Il se mit à l’arrière-garde avec quelques compagnies d’hommes d’armes et quelques bandes suisses que commandait Jean de Diesbach. Il couvrait la marche de l’armée française, qui se retirait à grands pas. Lorsque les plus hardis des confédérés s’approchaient trop, il les chargeait à la tête de ses hommes et les faisait reculer. C’est à la suite d’une de ces charges que l’un de ses plus valeureux compagnons, le seigneur de Vandenesse, frère du maréchal de La Palisse, reçut une blessure à laquelle il succomba peu de temps après, et que lui-même fut mortellement atteint d’un coup d’arquebuse. La balle lui fracassa les reins. Il se fit descendre de cheval et placer sous un arbre en face de l’ennemi. Il supplia tous ceux qui étaient autour de lui de pourvoir à leur sûreté ; puis, baisant la croix de son épée, après avoir adressé au connétable de Bourbon, qui le consolait, les plus nobles paroles[1], à Dieu les plus touchantes prières, il mourut en humble chrétien, après avoir combattu toute sa vie en héros. La perte du chevalier sans peur et sans reproche, qui avait fait les diverses guerres de Charles VIII, de Louis XII, de François Ier, qui, aussi avisé qu’intrépide et non moins réfléchi qu’entreprenant, était entré le premier dans Gênes, avait décidé par sa bravoure la prise d’assaut de Brescia, avait été l’un des vainqueurs d’Aygnadel, de Ravenne et de Marignan ; la mort de l’incomparable preux par lequel François Ier avait voulu être armé chevalier sur le champ de bataille à la suite de sa première victoire, jeta la consternation dans l’armée et répandit le deuil parmi ses ennemis mêmes[2].

  1. Voyez Symphorien Champier, les Gestes du noble chevalier Bayard, dans les Archives curieuses de l’histoire de France, par Cimber et Danjou, 1er série, t. II, p. 175 à 177 ; — Du Bellay, t. XVII, p. 441 ; — et l’Histoire du Chevalier sans peur et sans reprouche, par le loyal serviteur ; — collection Petitot, t. XVI, p. 124,125.
  2. Voici ce que Beaurain en écrivait à Charles-Quint : « Le capitaine Bayart retourna avec aucuns chevaucheurs françois et quatre ou cinq enseignes des gens de pied, si rebouta nos gens et rescouit les pièces d’artillerie que mieulx luy eut vallu laisser perdre, car ainsi qu’il se cuidoit retourner, il eut ung cop de hacquebute duquel il morut le jour mesme… Sire, combien que le dict Sr Bayart fut serviteur de votre ennemy, si a ce esté dommaige de sa mort, car c’étoit ung gentil chevalier bien aymé d’ung chacung, et qui avoit aussi bien vescu que fit jamais homme de son estat, et à la vérité il a bien monstre à sa fin, car ce a esté la plus belle dont je ouys oncques parler. La perte n’est point petite pour les François, et aussi s’en trouvèrent-ils bien estonnez, de tant plus que tous ou la plus part de leurs capitaines sont malades ou blessés. » Lettre du 5 mai 1524. — Archives impériales et royales de Vienne.