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coupaient les routes, et les têtes quand ils pouvaient. Les Hadjoutes, cavaliers hardis, rusés, téméraires même, jetaient la terreur parmi les colons.

Le 2e régiment de marche était cantonné à Hussein-Dey, situé à trois lieues d’Alger. Ce fut de ce point que nous partîmes pour notre première opération dans le pays ; mais avant de prendre part à l’expédition projetée, nous nous étions exercés à différentes manœuvres sous la direction du général de Dampierre, qui nous commandait. Hussein-Dey se trouve placé au bord de la mer, et tous les matins nos malheureux chevaux français, pour s’acclimater au sable du désert, devaient galoper pendant de longues heures sur une plage sablonneuse, où ils enfonçaient jusqu’au ventre. Pour les récompenser de ce travail, on leur donnait de l’orge, nourriture des chevaux du pays ; ils n’y voulurent pas toucher. Force fut de faire venir de l’avoine de France, ce qui ne les nourrissait guère mieux. Ils ne mouraient pas encore, mais ils étaient maigres à faire peur. Ici déjà se révélait une des difficultés de l’emploi de la cavalerie dans une guerre lointaine. La subsistance du cheval est une des graves questions qui en pareille occurrence doivent préoccuper les chefs de corps.

L’ordre de se mettre en campagne ne tarda pas d’arriver ; les douze escadrons de France étaient appelés à l’honneur de marcher contre les Arabes. Une nouvelle organisation fut donnée à l’armée. La 1re division était commandée par M. le duc d’Orléans, la 2e par le général vicomte Schramm ; la réserve, où se trouvait la cavalerie de France, restait sous les ordres de M. le général vicomte de Dampierre. Le maréchal Valée commandait en chef. Officier d’artillerie du plus haut mérite, il s’était illustré dans les guerres du premier empire avant d’inscrire son nom sur les murs de Constantine. Le maréchal était vieux, mais il conservait toute la vigueur du jeune âge ; c’était une sorte de Radetzky, montant à cheval dès le matin et n’en descendant que le soir. Il connaissait tout, sauf la cavalerie, à laquelle il n’entendait rien.

Un acte de piraterie venait d’être commis sur un navire français à Cherchell ; on avait voulu en tirer vengeance. Tel était le but de l’expédition à laquelle la cavalerie de France allait prendre part. Nos troupes formaient un effectif de 12,000 hommes ; ces braves espéraient rencontrer sur leur chemin, à Cherchell, les miliciens d’Abd-el-Kader et leur donner une rude leçon. La concentration du corps d’armée eut lieu à Bouffarik. Il n’y eut point de revue préparatoire avant l’ébranlement des colonnes, beaucoup de nos jeunes soldats ne connaissaient pas même le maréchal de vue ; quant aux officiers, plusieurs, comme moi, étaient dans la même ignorance, et