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s’imaginait, comme Clément VII, que les troupes espagnoles descendraient dans l’Italie inférieure et lui abandonneraient le Milanais, qui tomberait ainsi tout entier plus vite et plus aisément entre ses mains. Cette séparation de ses forces était une manœuvre habile ou une faute dangereuse, selon que les impériaux courraient défendre Naples ou resteraient sur l’Adda. Si elle ne lui donnait pas tout de suite la Lombardie, elle l’y affaiblissait et l’exposait plus tard à un grand revers. Lannoy fut très alarmé du péril qui menaçait un royaume sans chef et sans soldats. Il écrivit à Charles-Quint pour le dissuader de continuer une guerre qu’il était réduit à soutenir seul, et dont les charges devenaient de plus en plus accablantes. Il l’avertit qu’en s’obstinant à rétablir Francesco Sforza, il exposait sa propre puissance. « Prenez garde à vos affaires ! lui disait-il ; vous défaites une couronne pour radouber un chapeau de duc : c’est une chère marchandise[1]. » Lannoy eut un moment la pensée d’évacuer le Milanais et de se replier sur Naples ; mais le marquis de Pescara, qui seul était auprès de lui, le duc de Bourbon n’étant pas encore revenu d’Allemagne, lui montra fort habilement tout ce qu’avait de dangereux ce mouvement, si opportun en apparence. Il lui représenta que conduire les soldats impériaux au sud de l’Italie, c’était en abandonner le nord aux Français, qui ne manqueraient pas de le suivre dès qu’ils auraient occupé le Milanais, qu’il se trouverait alors placé sans des forces suffisantes entre l’armée grossie du duc d’Albany et l’armée victorieuse du roi de France, et qu’après avoir imprudemment délaissé le duché de Milan, il courait risque de perdre le royaume de Naples[2]. Il ajouta que le sort du royaume comme du duché devait se décider dans les plaines de la Lombardie, qu’il fallait attendre sur l’Adda les renforts sans lesquels on ne pouvait rien entreprendre, combattre le roi de France après les avoir reçus, bien certain qu’en gagnant la bataille, du même coup on sauverait Naples et acquerrait Milan.

Le vice-roi de Naples fut en ce moment ébranlé. Il craignit, s’il continuait la guerre, de compromettre tout ce que l’empereur possédait en Italie, et il crut que l’intérêt de son maître réclamait la conclusion de la paix ou au moins une trêve. Il s’était porté à Crémone, un peu au-dessous du point où l’Adda entre dans le Pô, pour y surveiller les mouvemens du duc d’Albany. De Crémone, il dépêcha le commandeur Peñalosa au duc de Sessa, ambassadeur de Charles-Quint à Rome, afin de reprendre les négociations que Clément VII avait essayées sans succès entre les deux princes. « Le seigneur duc, disait-il dans les instructions remises à Peñalosa,

  1. Lettre de Lannoy du 5 décembre à Charles-Quint. — Archives imp. et roy. de Vienne.
  2. Galeazzo Capella, lib. IV. — Du Bellay, f. 463, 464.