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campagne valaient mieux qu’un seul jour de bataille, parce qu’on pouvait perdre dans une mêlée douteuse ce qu’on était certain d’acquérir par d’habiles manœuvres ; mais il ajouta que, dans l’impossibilité où l’on se trouvait aujourd’hui de tenir plus longtemps la campagne, il fallait hasarder le combat comme l’unique moyen d’arracher à l’ennemi un avantage qu’on serait réduit sans cela à lui céder entièrement. Il proposa d’attaquer de nuit le camp des Français, non du côté qui faisait face au camp impérial et que rendaient inabordable les retranchemens dont il était couvert et les bastions qui le défendaient, mais en tournant vers le nord le parc, où l’on pénétrerait par une brèche pratiquée à la muraille sur un point qui ne serait pas gardé et dans un intervalle assez vaste pour donner passage à l’armée. On obligerait ainsi le roi de France à descendre de ses hauteurs fortifiées dans la plaine du parc afin de fermer l’accès de Pavie, ou à livrer Pavie s’il ne sortait pas de son camp retranché. Le duc de Bourbon appuya vivement l’avis de Pescara, et l’attaque fut décidée pour la nuit du 24 février, fête de saint Mathias et jour anniversaire de la naissance de Charles-Quint.

Antonio de Leyva, instruit le soir même du 23 février de la résolution prise, fut invité à mettre ses cinq mille hommes sous les armes, et, lorsqu’il entendrait deux coups de canon tirés par les impériaux, à seconder leur attaque en faisant une sortie qui placerait les Français entre deux feux[1]. On se disposa à décamper pour être vers minuit à l’extrémité septentrionale du parc, où l’on espérait ouvrir une brèche bien avant le jour. Les soldats reçurent l’ordre de mettre des chemises blanches ou des morceaux de toile par-dessus leurs armures, afin de se reconnaître en combattant dans l’obscurité d’une nuit de février. Pescara faisait dépendre le succès de sa manœuvre de l’audace et de la solidité des Espagnols. Il avait coutume de les instruire de ses projets pour les animer de ses sentimens. Cette fois il jugea plus que jamais nécessaire de les préparer à l’entreprise ardue qu’ils allaient exécuter. Il les assembla, leur dit ce qu’il attendait d’eux et ajouta : « Mes enfans, la fortune nous a placés dans une telle extrémité que, sur la terre d’Italie, vous n’avez pour vous que ce qui est sous vos pieds[2] ; tout le reste vous est contraire. La puissance entière de l’empereur ne parviendrait pas à vous donner demain dans la matinée un seul morceau de pain. Nous ne savons où en prendre, sinon dans le camp français, qui est sous vos yeux. Là tout abonde, le pain, le vin, la viande, les truites et les carpes du lac de Garcia. Ainsi, mes enfans, si vous tenez à manger demain, marchons au camp des Français. » Les soldats espagnols

  1. Documentes ineditos et récit de George Frundsberg dans Brequigny, vol. 90.
  2. Relation de Juan de Oznayo, t. IX, p. 450.