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animaux attendent souvent pendant des semaines entières le coup de hache qui doit fendre leur plastron et mettre un terme à leurs souffrances.

Pendant les XVIIe et XVIIIe siècles, Rio-Hacha, qu’on appelait alors Ciudad de la Hacha, était célèbre par son opulence : des joailliers, des monteurs en perles, des changeurs établis des deux côtés de la calle de la Marina, étalaient d’immenses richesses gagnées dans le commerce des perles,que les Indiens pêchaient à trois lieues au nord-est de la ville, près du cap de la Vela. Aussi la cité de la Hacha était-elle le point de mire des pirates des Antilles, et la tradition rapporte que pendant le cours de deux siècles elle a été onze fois mise au pillage et livrée à l’incendie ; mais elle contenait de tels élémens de prospérité qu’elle se releva onze fois de ses ruines. Enfin, lors de l’expédition de l’amiral Vernon contre Carthagène, celui-ci, voulant ruiner à tout jamais le commerce de Rio-Hacha, expédia vers le cap de la Vela plusieurs navires de guerre qui détruisirent tous les récifs perliers de ces parages en les draguant pendant des mois entiers. Depuis, les huîtres à perles seraient, dit-on, beaucoup moins nombreuses qu’autrefois, et cette diminution, coïncidant avec une grande baisse dans le prix des perles fines, a considérablement amoindri l’importance de Rio-Hacha. Aujourd’hui une quinzaine d’Indiens tout au plus s’occupent de la pêche des perles ; un seul bijoutier, vieillard qui trouve que tout va très mal dans le pire des mondes possibles, fait vibrer en maugréant la corde de l’instrument qui lui sert à monter les bijoux ; il vend d’assez jolies parures pour quelques pesetas.

Le commerce de la ville consiste surtout en bois du Brésil et de Nicaragua, que les Indiens et les paysans des provinces de l’intérieur apportent à dos de mulet, en graines de dividivi[1], en cuirs, et depuis quelques années en café et en tabac. Les principaux articles d’importation sont les denrées alimentaires ; les navires de New-York apportent le maïs et la farine ; les villages de la Sierra-Negra expédient du café et des fruits ; Dibulla, petit port situé à quinze lieues à l’ouest, fournit les bananes et le cacao ; les Indiens Goajires amènent les bœufs ; la mer donne ses innombrables poissons, ses tortues et ses coquillages. Ainsi les Rio-Hachères dépendent complètement d’autrui pour leur alimentation journalière ; néanmoins l’avenir de Rio-Hacha est magnifique, car cette ville, l’une des moins insalubres de toute la Côte-Ferme, est le débouché naturel d’une immense région qui se peuple rapidement. Toutes les

  1. Coulteria tinctoria ; les graines sont employées en Angleterre pour le tannage des cuirs.