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les hommes n’y entrent plus que lors des enterremens, des baptêmes et autres cérémonies de même genre. La plupart des mariages ne sont pas bénis par le prêtre et se célèbrent sans aucune formalité religieuse ou civile. Aucun déshonneur ne s’attache à la comprometida ; elle est reçue dans toutes les sociétés avec les mêmes égards que la femme légitimement mariée, ses enfans jouissent des mêmes avantages sociaux que ceux de ses compagnes qui ont reçu officiellement le titre d’épouses, et lorsque son mari lui est infidèle, l’opinion publique la protège avec autant ou même plus d’énergie que si elle avait prononcé le oui sacramentel devant le curé de la paroisse et lefe politico. Rien de plus trompeur que les jugemens portés sur les mœurs d’un pays d’après des idées préconçues. Il est certain qu’au premier abord certains de nos moralistes seraient fort choqués à la vue de cette société où les frontières du mariage sont si mal limitées ; ils ne trouveraient pas assez de paroles de dégoût pour ces femmes succinctement vêtues qui font leurs ablutions à peu près en public et quelquefois avec un liquide que les duègnes de Séville jettent la nuit sur les joueurs de mandoline ; mais il est vrai pourtant que, malgré la violence des passions méridionales, cette société, si shocking en apparence, est pour le moins aussi pure que la nôtre : la corruption froide et convenable, cette affreuse plaie de nos sociétés modernes, y est complètement inconnue.


II

La ville de Rio-Hacha est à la merci des Indiens Goajires. Ceux-ci pourraient facilement la raser, mais ils la respectent parce que l’intérêt est chez eux plus puissant que l’esprit de vengeance : ils ne sauraient se passer des denrées et des marchandises qu’ils trouvent à Rio-Hacha, et qu’un long usage leur a rendues nécessaires. Si le commerce cessait par une cause quelconque, le lendemain la ville serait brûlée.

Pour contempler les Goajires dans toute leur pittoresque beauté, il faut se rendre le matin à l’embouchure du Rio-de-Hacha, située, selon les saisons, à un jet de pierre ou bien à un ou même deux kilomètres à l’est de la cité. C’est là, dans le bassin toujours changeant formé par le mélange des eaux douces et des eaux salées qu’une grande partie de la population rio-hachère prend chaque jour ses ébats ; cette agglomération des deux sexes dans le même bassin est à peu près inévitable, car en amont de l’embouchure les crocodiles infestent la rivière, et dans la mer, où le voisinage des requins, sans être dangereux, n’est cependant point agréable, les