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dans la saison pluvieuse on suspend une toile sur le côté du rancho exposé au vent alizé ; les chefs se donnent aussi le luxe de faire tresser soigneusement des branches autour de leur cabane royale. Quand la tribu nomade a décidé son départ vers de nouveaux pâturages et de nouvelles pêcheries, il suffit de décrocher les toiles, de retourner les pirogues et de les lancer sur les flots : il ne reste plus du village provisoire que des branchages oscillant à la brise et les pierres noircies du foyer. Dans les saisons de très fortes sécheresses, il arrive même qu’un grand nombre de Goajires s’expatrient complètement et se construisent des ranchos sur les côtes de la province de Rio-Hacha. Ainsi la Punta-del-Diablo, village situé à 60 kilomètres à l’ouest de la ville, près de la base des Montagnes-Neigeuses, est parfois envahie par plusieurs centaines d’Indiens que la soif et la faim ont expulsés de leurs déserts.

Les Goajires sont admirablement beaux, et je ne crois pas que dans toute l’Amérique on puisse trouver des aborigènes ayant le regard plus fier, la démarche plus imposante et les formes plus sculpturales. Les hommes, toujours drapés à la manière des empereurs romains dans leur manteau multicolore attaché par une ceinture bariolée, ont en général la figure ronde comme le soleil, dont leurs frères, les Muyscas, se disaient les descendans ; ils regardent presque toujours en face d’un air de défi sauvage, et leur lèvre inférieure est relevée par un sourire sardonique. Ils sont forts et gracieux, très habiles à tous les exercices du corps. Leur teint dans la jeunesse est d’un rouge brique beaucoup plus clair que celui des Indiens de San-Blas et des côtes de l’Amérique centrale ; mais il noircit avec l’âge, et dans la vieillesse il ressemble à peu près à la belle couleur de l’acajou. Autour de leurs cheveux noirs tombant en larges boucles sur leurs épaules, ils enroulent gracieusement une liane de convolvulus[1], ou bien attachent des plumes d’aigle ou de toucan, retenues par un simple diadème en fibres de bois tressées ; leurs figures sont rarement tatouées, parfois quelques lignes arrondies sont gravées sur leurs bras et leurs jambes. Les femmes, moins ornées que leurs maris et vêtues de manteaux aux couleurs moins riches, ont sans exception et jusque dans la vieillesse la plus avancée des formes d’une admirable fermeté et d’une grande perfection de contours ; leur démarche est vraiment celle de la déesse, ou plutôt celle de la femme qui vit dans la libre nature et dont la beauté, caressée par le soleil, se développe sans entraves. Leurs traits, qui ressemblent à ceux des belles Irlandaises, sont malheureusement défigurés

  1. Convolvulus brasiliensis, plante aux charmantes fleurs qui, par ses longues lianes et ses innombrables radicules, retient et consolide le sable des plages marines.