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gaîne équarrie. Il y en avait des milliers dans les rues de la ville, d’un style tellement uniforme que les auteurs de ces bustes étaient confondus dans une commune obscurité : on les appelait des hermoglyphes, ou si l’on veut des fabricans d’Hermès. Enfin à la veille des guerres médiques, si quelques noms se détachent et sont recueillis par l’histoire, c’est plutôt le sujet traité par les sculpteurs que leur talent individuel qui les recommande à l’attention publique. Endœus est cité parce qu’il eut le premier l’idée de représenter Minerve assise ; Anténor, parce qu’il fit les statues d’Harmodius et d’Aristogiton ; Amphicrate, parce qu’il représenta la courtisane Léaena, leur héroïque complice, sous la forme d’une lionne. Si l’originalité des artistes ne se dégage point encore, il ne faut pas croire pour cela que leurs œuvres manquassent de mérite. Ceux qui ont étudié avec soin les précieux débris de sculpture que possède Athènes ont remarqué la statue assise de l’Érechthéion, la déesse sur un char et la femme drapée, dont nous avons les moulages à l’École des Beaux-Arts ; le soldat de Marathon, la frise des soldats blessés, qui se trouve enclavée dans le mur du Catholicon. Ces fragmens ont entre eux un air de famille, moins parce qu’ils sont tous archaïques que parce qu’ils dénotent les mêmes tendances et les germes de beautés semblables. On sent percer sous des formes sèches et comprimées un effort de vie, un besoin de liberté, d’élégance, de richesse, et le goût de l’ajustement. Les plis conventionnels des draperies ont déjà une certaine abondance, de l’harmonie, et ils modèlent les corps avec une souplesse qui surprend. Enfin partout se trahit une secrète aspiration vers l’idéal. Il est impossible de méconnaître les caractères du génie des Ioniens, si opposé au génie des Doriens. Tandis que les sculpteurs des écoles doriennes, formés par l’étude du nu et l’habitude de représenter des athlètes, expriment avec énergie la nature vivante et tendent au réalisme (les frontons d’Égine en font foi), les sculpteurs d’Athènes s’étudient à créer plutôt des types divins que des types athlétiques. À Athènes, les mœurs ioniennes et même le costume oriental se maintinrent jusqu’à Périclès ; la vie y fut moins rude, moins extérieure que chez les Doriens, et les exercices gymniques n’y furent point préférés aux concours de musique, de poésie, ni aux grandes solennités tragiques.

Phidias, qui avait passé plusieurs années de sa jeunesse à Argos, dans la plus célèbre des écoles doriennes, en rapporta tout ce qui manquait à ses compatriotes. Il unit les qualités du génie dorien à celles du génie ionien, la simplicité sévère, la science pratique, la mâle grandeur du premier à l’idéal, au mouvement, à la délicatesse, à la grâce du second. Il sut fondre les deux principes pour en former un ensemble incomparable, que les modernes désespèrent d’égaler