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dans un tel livre, se trouver si bien remplies que peu de personnes oseront douter de la précision mathématique des résultats fournis, et suspecter, dans les questions agricoles qui peuvent être soulevées, la solution qu’on demanderait à un pareil catéchisme. Cependant la. Statistique agricole de la France ne nous paraît être ni suffisamment exacte, ni suffisamment complète, ni suffisamment bien ordonnée. Plusieurs statistiques existent qui, écrites sur le même sujet ou sur d’autres, méritent un semblable reproche ; mais cette étude doit se restreindre à l’examen de nos documens officiels en matière agricole. Ainsi défini, le sujet donne encore lieu à plus d’une remarque utile. Il faut, pour être juste, commencer par reconnaître qu’un travail aussi compliqué que la statistique agricole de la France était chose singulièrement difficile. Sur qui compter en effet pour en réunir les multiples élémens ? Fallait-il s’adresser aux maires de nos villages ? Mais ces magistrats, déjà fort occupés de leurs propres affaires dans presque toutes nos communes rurales, déjà surchargés de plus de besogne qu’ils ne peuvent en bien faire, souvent trop peu instruits, presque toujours trop soucieux de leur popularité pour remplir convenablement même leur devoir d’officiers de police, ces magistrats auraient été de détestables statisticiens. Beaucoup ne se seraient jamais prêtés aux courses énormes, aux recensemens inquisitoriaux qu’on demandait, et les plus dociles, après quelques simulacres de recherches, auraient renvoyé en blanc ou rempli au hasard, comme il arrive souvent, les tableaux imprimés qu’on leur aurait adressés.

Fallait-il astreindre à ce nouveau service les nombreux agens, — percepteurs, voyers, ou autres, — que nos différentes administrations entretiennent sur toute la surface de la France ? Mais les devoirs de leur emploi n’eussent pas permis au plus grand nombre de consacrer à ce travail tout le temps nécessaire, et les connaissances spéciales eussent également manqué à la plupart d’entre eux.

Fallait-il créer une nouvelle classe de fonctionnaires chargés, sous le titre de recenseurs agricoles, de réunir sur tous les points du territoire les documens indispensables ? Mais notre budget a bien d’autres charges plus utiles à supporter avant qu’il convienne de le grever d’une telle dépense, et il est à croire en outre qu’on aurait eu de la peine à enrôler, en n’employant que des hommes capables, un personnel assez nombreux pour faire rapidement face à toutes les exigences de ces recherches. D’ailleurs, comment ces recenseurs auraient-ils été reçus dans les campagnes, quand ils s’y seraient présentés pour vérifier le compte des bestiaux de nos cultivateurs, la mesure de leurs champs et le poids de leurs récoltes ? Jamais nos paysans ne comprendront des études de ce genre abstractivement scientifiques ; ils soupçonneront toujours sous de telles démarches quelque velléité fiscale, et naturellement ils leur opposeront, non plus des coups de fourche, mais tout au moins des mensonges et des ruses d’autant plus invincibles qu’il y aura partout dans le pays un accord universel, quoique tacite, une connivence active, quoique non organisée.