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Il est donc impossible de croire qu’en additionnant des mensonges partiels on ait obtenu la vérité pour total, et quoique le département de l’Orne, que je connais mieux que tout autre, ne figure pas dans ce premier volume, je reste convaincu qu’on ne doit accorder aux résultats de la Statistique agricole qu’une médiocre confiance. C’est d’ailleurs ce qu’il convient de prouver par quelques exemples.

La question des salaires, en agriculture et en industrie, joue un rôle considérable. Tout le monde sait que le taux des salaires se règle, non pas sur le prix des subsistances, mais, comme toute chose, sur le rapport qui existe entre l’offre et la demande. La demande, c’est-à-dire la recherche des ouvriers par les maîtres qui en ont besoin, élève le prix de la main-d’œuvre quand le nombre des bras offerts reste insuffisant. Toutefois cette concurrence que les entrepreneurs d’industrie, agricole ou manufacturière, se font entre eux pour se procurer les ouvriers nécessaires est toujours limitée par le bénéfice que l’entrepreneur peut réaliser ; mais, dans les termes extrêmes entre lesquels il oscille, le taux du salaire modifie d’une manière si profonde la vie de l’ouvrier et la possibilité ou l’impossibilité de la production, que la connaissance de ce taux est une des premières conditions de toute étude économique.

Ainsi, en divisant le total des salaires que la culture, la moisson et le battage obligent à payer pour chaque hectare par le produit en grains de cet hectare, on détermine la part de frais de production qui, dans ces divers travaux, incombe à chaque hectolitre de grains obtenu. Or, en opérant ce calcul d’après les chiffres indiqués par la Statistique agricole, on trouve que la production d’un hectolitre de grains coûte en moyenne, dans plusieurs départemens, tantôt presque aussi cher, quelquefois même plus cher que le grain vendu sur le marché[1]. Je sais qu’un hectare de terre donne, outre le grain, une quantité de paille qui a toujours une certaine valeur ; mais aussi on remarquera que les salaires sont loin de constituer les seuls frais dont la production agricole soit grevée. Outre ces salaires, nos fermiers dépensent encore pour chaque hectare de récolte un prix de fermage quelconque, — un impôt, — une part proportionnelle dans les frais de jachère, — une part proportionnelle dans les frais généraux de l’exploitation, — la valeur de l’engrais enfoui, — la valeur de la semence employée. Ces diverses charges ne sont certainement pas couvertes par la valeur des pailles. Il faut de plus constater que ces étranges résultats sont ceux qu’a donnés, selon la Statistique, une bonne année moyenne, à une époque où le blé se vendait un prix à peu près raisonnable. Que serait-ce donc

  1. Voyez, pour le froment, les arrondissemens d’Alais Gard, Auch Gers, Saint-Claude Jura ; — pour le méteil, les arrondissemens de Dijon Côte-d’Or, Bordeaux Gironde, Poligny Jura ; — pour le seigle, les arrondissemens de Montluçon Allier, Lodève Hérault, et le résumé du département de la Creuse, etc. — Dans les tableaux relatifs à l’orge, à l’avoine, au maïs, au sarrasin, aux pommes déterre, on retrouve d’aussi incroyables déclarations.